Noms d’oiseaux, boulets rouges et jugements à l’emporte-pièce, il en a pris plein la tronche, et c’est apparemment le prix à payer pour avoir le droit de se revendiquer “chanteur populaire”. Lui qui connaît bien “les risques du métier”, qui s’amuse d’être “infréquentable” mais dont des foules aiment pourtant la compagnie dès que l’occase se présente, qui passe Incognito au cinéma et se fait drôlement remarquer lorsqu’il brûle les planches (en 2011 dans Quelqu’un comme vous, un face à face intense avec Weber), lui qui joue toujours les bons potes à 43 ans passés, comme le confirme son dernier live, Bien l’bonsoir m’sieurs-dames (2012), tiré de la tournée avec son album Les Bénéfices du doute (2011). 43 ans, et toujours un visage et une vision de jeune premier, juste un peu plus désabusé qu’au début :
“Y a plein de gens qui sont drôles, moi je ne suis pas très drôle”
affirme devant Darkplanneur l’artiste, à l’humilité quasi maniaque, tandis que passe en boucle sur les ondes L’Agneau, un dernier single en forme de fable qu’aurait très bien pu signer un Renaud en forme et qui, derrière le visage apparemment durablement juvénile de Bénabar, s’occupe de rappeler une fois encore que l’homme est un loup pour l’homme.
“J’ai bien vu que j’étais une sorte d’épouvantail. J’essaye de voir pourquoi”
On n’a pas vu le temps passer, lui non plus sans doute, mais Bénabar a 43 ans. Il est marié (depuis octobre 2010, avec sa compagne de longue date, Stéphanie), père de deux enfants (Manolo, 8 ans, et Ludmilla, 3 ans), et semble bien plus inoxydable qu’un vendeur de télé-achat, malgré les claques qu’il a pu prendre en service après-vente.
“Humainement, c’est évidemment horrible à vivre d’être haï”
ne peut que constater Bénabar, invité de Darkplanneur dans son Cabinet des curiosités n°55, le dernier de l’année. Pour son confesseur aguerri, celui que l’état civil connaît sous le nom de Bruno Nicolini envisage sans se départir de son calme cette relation ultramanichéenne qu’il suscite malgré lui, amour ou détestation :
“J’ai bien noté ça, j’ai bien vu que j’étais une sorte d’épouvantail. Ce qui me rassure, c’est que les gens qui me haïssent ne me connaissent pas. Parce je vais voir les trucs, pas tout le temps – j’essaye de me sevrer, avant je regardais tout et ça me plongeait dans des désespoirs infinis. J’essaye de voir pourquoi. Je m’aperçois, souvent, qu’ils ne parlent pas du tout de moi. Même, ils disent des trucs, j’suis assez d’accord avec eux. Ils détestent un mec, mais c’est pas du tout moi. Souvent ils parlent des Inrockuptibles, alors que moi je suis méprisé par les Inrockuptibles, que j’emmerde évidemment”
analyse-t-il avant que le Cabinet des curiosités incruste, en écho malin, un extrait de son récent titre Les Râteaux.
Voix rentrée et mâchoire serrée à la Gabin, mais décontraction palpable et sourire facile, Bénabar dégage à la fois une plaisante sensation de bonhomie et le sentiment qu’il est réfractaire à l’exhibition :
“Je suis très intimidé par les caméras de télé notamment, admet-il. J’ai toujours été mal à l’aise d’en cet exercice-là, où il faut être très spontané alors que t’as 400 grammes de maquillage, 50 kilos de lumière dans la gueule, tout le monde est hyper pressé, les attachés de presse qui tremblent parce que tu risques de planter la sortie de l’album… C’est un exercice très douloureux pour moi. C’est pas que j’aime pas, mais j’ai beaucoup de mal, c’est très étrange.”
Quand il s’agit de parler de lui, Bénabar a tendance d’ailleurs à s’emmêler un peu les crayons, à bredouiller avant de sortir la bonne idée. Pour cela, l’exercice psychanalytique auquel Eric ‘Darkplanneur’ Briones soumet avec expertise les personnalités est un vrai révélateur, et on constate comme son invité du jour peine à rester face caméra, tenté en permanence de se retourner vers son interlocuteur invisible. Quand il s’agit de parler des autres, c’est beaucoup plus clair. Notamment dans le cas des journalistes, peuple qui ne lui veut pas que du bien :
“La plupart des journalistes font bien leur boulot, mais il y a des gens qui ne sont pas journalistes et qui pourtant écrivent des articles. Ce sont eux qui compliquent la chose. Mais il y a plein de très bons journalistes, franchement je le pense sincèrement. (…) Il y a des journalistes qui m’ont beaucoup apporté, même artistiquement, qui m’ont posé des vraies questions… Et c’est pour ça que j’ai la dent aussi dure sur les connards qui se prétendent journalistes et qui sont en fait des miliciens qui font des rapports plus que des articles. Y a plein de connards et de mauvais qui n’écoutent même pas les disques et ne vont même pas voir les films. (…) C’est un des rares milieux où il y a autant de mauvais, avec la télé.”
“Je suis un peu une vieille pute dans ce métier, et je préfère faire partie de la bande des Restos du coeur que de la bande des fumiers”
Dans la même lignée, Darkplanneur, savamment attiré par les zones d’ombre plus que par les éclats de lumière, questionne aussi le procès d’intention régulièrement fait aux artistes intervenant dans le show annuel des Enfoirés au profit des Restos du Coeur, dont Bénabar, fidèle du rendez-vous :
“C’est un vrai sujet, ça m’a beaucoup troublé dans ma carrière de petite vedette : que les Restos du coeur soient à ce point-là attaqué, répond vivement l’intéressé. Sans déconner… J’ai bien compris que c’est pas très chic, machin… Mais par contre, attaquer des gens qui vont jouer gratos pour des gens qui n’ont rien à bouffer, je trouve qu’on est quasiment dans une fin de civilisation. Je suis content de faire partie de la bande des Restos du coeur plutôt que de la bande des fumiers qui attaquent ça. Surtout, quand on les connaît, parce que ça fait quand même quinze ans que je fais ce métier, donc je suis un peu une vieille pute dans ce métier quand même un petit peu, c’est que la plupart de ceux qui critiquent ont essayé d’en faire partie.”
“Rancunier, pas vengeur”
Bénabar voit clair, et parle clair. Un vrai tueur derrière un visage d’enfant, note Darkplanneur. “L’autre” Bénabar refait alors surface, bredouillant :
“Enfin j’suis gentil, franchement, j’suis vraiment gentil… Mais j’suis un peu éner… Mouais [Vengeur ?] Rancunier, rancunier, pas vengeur. J’oublie pas, mais je ne fais pas payer.” Ces contrariétés, auxquelles on peut inclure sa guéguerre médiatique avec Benjamin Biolay, révolue, il faut pourtant les évacuer : “En faisant énormément de footing et en buvant beaucoup de vin. C’est les deux mamelles. Je fume pas, mais je bois du vin et je fais du footing, les deux sont compatibles”, voilà la recette du quadra bien dans ses bottes. Qui ne perd ni son sens de l’autodérision ni sa lucidité malgré les ondes négatives : “Je m’aime beaucoup, j’aime beaucoup ce que je fais, mais je suis lucide sur ce que je fais, j’ai un peu de recul quand même.” Et qui assume de prendre les choses à la légère, notamment en concerts, qu’il veut “détendus et fraternels”.
Papa Bruno et la cour de récré
Habitué à prendre des coups sans forcément les rendre, mais auto-éduqué à ne pas se laisser piétiner, Bénabar, comme s’il improvisait une nouvelle chanson devant Darkplanneur, se sert de sa vie de père pour résumer sa philosophie :
“[Quel père je suis,] ça, faut demander à mes gosses. Enfin, faudra leur demander quand ils auront 20 ans, qu’ils me détesteront, qu’ils n’écouteront plus mes disques, parce qu’aujourd’hui ils adorent mes disques, en plus ça parle d’eux, la plupart des chansons (…) J’ai expliqué à mon fils la bagarre : je lui ai dit “dans la récré, il faut jamais se battre ; mais si un ou une camarade t’emmerde à chaque récré, à un moment il faudra que tu lui donnes un coup de pied”. Je m’aperçois que c’est ce que j’applique dans ma vie d’adulte, faut jamais déclencher, faut aimer tout le monde, mais si on t’emmerde trop, à un moment faut pas laisser se faire.” Presque du Coluche. Et d’enchaîner, en se marrant : “Quand je me bats, j’suis bourré, donc j’oublie. C’est un peu ‘n’importe kick’. (…) Je me bats comme je danse, c’est pour ça je gagne pas souvent.”
Rendez-vous sur Darkplanneur.com pour revoir tous les épisodes du Cabinet des curiosités, et entrer en 2013 sur la pointe des tendances plutôt que sur la pointe des pieds.