Lors de notre dernière rencontre, vous nous aviez dit que vous aviez tué le Péruvien qui était en vous. C’était urgent ?
Il ne faut pas qu’il essaye de revenir, on ne veut pas de zombie (rires). Il fallait essayer de sortir de la ritournelle et de la ballade folk des Andes. J’aime beaucoup, mais peut-être que j’en ai fait le tour.
Pas de trace de réalisateur extérieur. Pourquoi cette décision de travailler seul ?
Il n’y avait plus beaucoup de mecs qui voulaient bosser avec moi. Je m’étais un peu engueulé avec la moitié de Paris, je ne savais pas à qui m’adresser. J’ai trouvé un type, Benjamin Lebeau, qui m’a aidé à faire un peu de post-production. J’avais vu comment travaillaient les réalisateurs de film, je voulais mettre les gens en confiance, qu’il n’y ait pas d’interface entre les musiciens et moi.
Est-ce à cause de votre degré d’exigence que vous vous êtes brouillé avec certains réalisateurs ?
Je ne sais pas exactement pourquoi. C’était peut-être une période difficile pour moi. J’étais tendu, donc certainement plus difficile à vivre. Il y a des albums qui sont plus compliqués que d’autres. Celui d’avant (Je sais que la Terre est plate, ndlr) était difficile à réaliser.
Avec du recul, en êtes-vous aujourd’hui satisfait ?
Pas pleinement, non. Même à l’époque de sa sortie, je ne l’étais pas. Il y avait des pistes qui étaient bien, des directions aussi, mais cela n’allait pas au bout de tout. C’était trop tiède.
Quel a été le déclic pour que vous optiez ici pour un son plus radical ?
Pendant six mois, j’ai essayé de faire ma ballade, mais tous les jours je me disais : « Enfin, pourquoi ? Ça n’apporte rien… » Je m’anéantissais un petit peu et, de temps en temps, il y avait une chanson qui paraissait avoir une part de folie et là, ça m’intéressait. J’en avais deux-trois comme ça qui me paraissaient être l’ouverture de quelque chose. J’avais une vision quelconque d’une ville un peu abandonnée, menacée. D’autres chansons sont venues en quelques jours, et là j’avais le corps du disque.
On sent notamment dans le chant une influence Bashung…
Disons que j’ai compris comment il fallait interpréter quelque chose, peut-être. J’essaye de prendre aussi de sa liberté, ce style incantatoire.
Qu’avez-vous ressenti à sa mort ?
C’était le musicien qui m’intéressait le plus. À chaque sortie de disque, je l’attendais en me demandant ce qu’il allait faire et je prenais chaque fois une claque. Une vraie émulsion et un vrai bonheur d’auditeur.
Ce nouvel album est plus rock, plus frontal, plus ténébreux…
Je voulais qu’il reflète son époque, qu’il y ait un peu de violence. Je n’ai rien d’un punk, mais j’avais juste envie que ce soit prenant. Ce qu’il y a de plus insupportable, c’est l’indifférence, l’oubli ou l’ennui.
Ce côté sombre colle-t-il à votre personnalité ?
C’est une partie de moi, bien sûr. Les chanteurs sont toujours dans la plainte : le blues, c’est ça. Et puis c’est le principe de la chanson de rendre compte d’une souffrance. Je suis donc une pleureuse dans mon métier, mais pas dans la vie (rires).
Qu’est-ce que « Pacific 231 » ?
C’est un peu hasardeux. C’est le nom d’un modèle de locomotive. La photo de l’album était faite devant un wagon plombé. Dans Pacific 231, il y avait un côté rendez-vous de science-fiction, rétrofuturiste.
Encore et toujours un texte de Gérard Manset (« Manteau jaune »)…
Je me suis demandé si c’était opportun ou pas. D’avoir un texte de Manset et un autre de Dick Annegarn (Locomotive), ça permettait de ne pas avoir treize chansons écrites par moi. Ça permettait une rupture, tout en restant un peu dément.
« Le Patriote », un coup de gueule ?
Oui, une déconnade légèrement potache qui permet de sortir du cadre et de faire un peu de provoc aussi.
Vous dites : « Les Français sont désolants. » Que doit-on entendre par là ?
Que la manière dont on traite la France me paraît désolante. Elle ne doit pas être le pays du repli identitaire et de n’importe quel débat à la noix. Je comprends La Marseillaise quand elle est le chant de l’armée du Rhin, mais son importance dans un match de football me semble moins capitale.
Vous faites un clin d’oeil à Renaud à la fin de la chanson.
Il est là, à la fin de la chanson, avec ses santiags. Déclaration d’amour à son égard.
Ne manque-t-il pas actuellement des artistes comme lui ?
Absolument. Le système veut que les gens deviennent de plus en plus lisses. Il y a désormais une espèce d’autocensure, on vend juste de la pub.
Referiez-vous « Caravane » aujourd’hui ?
C’est un disque que j’aime. Je suis touché par l’importance que ses chansons ont eue chez les gens. Je suis fier de cet album mais je serais incapable de le refaire en ce moment. Je n’ai pas cette image mentale-là.
J’ai transmis ça à ce moment parce que mon système nerveux me le dictait (rires).
J’ai transmis ça à ce moment parce que mon système nerveux me le dictait (rires).
Aviez-vous à cette époque l’impression d’être fantasmé ?
C’est une expérience qui vous affecte, dont on ne sort pas indemne. Après, ce n’était pas désagréable d’être fantasmé. Je suis très content que ce soit tombé sur moi (rires).
Êtes-vous ébranlé par la censure en journée de votre clip sur M6 ?
Ni Olivier Dahan (le réalisateur du clip, ndlr) ni moi ne nous attendions à ça. On n’avait pas le sentiment de faire quoi que ce soit de subversif. Encore une fois, tout doit être lisse.
Comment avez-vous vécu votre première expérience d’acteur sur « Ces amours-là », le film de Lelouch ?
Je me suis bien marré, j’ai adoré la générosité et la tendresse de Lelouch, d’être dans le lâcher prise, de laisser remonter mes émotions. Cela me botterait de creuser ce sillon.