Raphael revient en enfance

La bouille est encore froissée par un réveil qu’on devine tardif, et le regard clair semble un peu lointain. Il est 17 h, un soleil replet brille sur la rade, notre terrasse est à l’ombre. Raphael parle doucement, si léger qu’on tend l’oreille pour tout saisir. Le chanteur français est arrivé jeudi à Genève. Ce samedi soir, à 18 h 25 précise, il se produit à la Fête de l’Espoir. En solo, avec une guitare, peut-être accompagné de son pianiste si ce dernier reste en ville. Au programme, vingt minutes de scène, puis retour au bercail. De passage pour la première fois dans la grand-messe de la variété — un marathon de 19 groupes en show-case plus qu’en concert —, l’auteur de Caravane devra ensuite se concentrer sur une tâche autrement plus hardue: trouver des musiciens, mettre sur pied un spectacle, partir en tournée. A suivre dès l’automne. Pour l’heure, Raphaël Haroche de son vrai nom, 40 ans en novembre, mesure avec une apparente sérénité le travail déjà accompli. Paru en avril dernier, «Somnambules», septième album depuis «Hôtel de l’univers» il y a quinze ans, marche plutôt bien.

Seul en scène, que ressent-on?[
C’est la solitude du chanteur folk.
Une mise à nu?
Mais pour cela, il faut de bonnes chansons, très mélodiques, extraordinairement magnétiques. J’ai voulu faire un album guitare et voix, mais je n’ai jamais trouvé que mes chansons suffisaient.
L’insatisfaction, ça vous motive?
Peut-être… J’adorerais arriver à un tel dépouillement, me retrouver seul avec ma guitare, traverser la terre pour gagner des sous. Mais je prends ce qui vient.
La musique est-elle une nécessité?
C’est un moyen de communication, un mode d’expression. J’ai une guitare dans ma chambre d’hôtel, je passerai peut-être un moment charnel avec mon instrument. Ou peut-être que j’écrirai…
Dit comme cela, ça paraît trop simple…
Simple? C’est une vie particulière. Et le monde est un peu fâché avec la mélodie. Tout n’est pas rose chez les flamants roses. Mais je ne me plains pas: rien que l’exercice du chant est déjà bon pour la respiration. Et chanter, ça donne aussi du courage.
Comment cela, du courage?
Sur leur bateau, les naufragés chantent. Dans Les dents de la mer, quand le type se fait attaquer par le requin, il chante lui aussi. Comme les gars qui partent au front. Et ça donne également une forme de sagesse.
Voilà qui est dramatique. Votre front à vous, où est-il?
Enfant, je rêvais de faire de la musique. Et la musique, toujours, me rattrapera.
Et les autres formes d’art?
Je ne pourrais pas tout faire. Même si j’aimerais écrire un livre. Ou réaliser un film — j’y travaille depuis longtemps et ça va se faire. Votre art à vous, vous le sentez comme essentiel, terminé, fini, complet?
Je crois beaucoup à ce que je veux faire. Il faut avoir l’ambition de faire quelque chose d’exceptionnel. Je veux que ce soit très beau. Et si les chansons de Somnambules ont un peu des ailes, c’est parce qu’elles ont été coécrites avec le chanteur d’Hermann Düne, David-Ivar.
Une filiation avec la mouvance hippie?
Les fleurs dans les cheveux, je trouve ça très bien. Et musicalement, c’est la guitare douze cordes, que l’on emploie. Folk hippie, cet album l’est complètement!
Vous y avez également mis des chorales d’enfants.
Je suis père de famille, je vis beaucoup avec mes enfants, je les observe tout le temps, je vais les chercher presque tous les jours à l’école… Mon inspiration vient d’eux, de leurs conversations. Ça m’intéressait de fixer ces moments-là. C’est le disque d’un adulte qui regarde les enfants. Le somnambule, c’est mon fils.
Ça vous rappelle votre propre enfance?
Je revis cette fantaisie avec eux. On lit des Tintin, on regarde les Star Wars…
Le goût de l’art, de la musique, vous le scruter chez vos enfants?
Je les regarde faire du piano, de la danse, du dessin… Avant qu’un certain conformisme s’installe, avant que l’on se plie aux usages, il y a une grande créativité.
Que vous enviez?
Oui. Parce que les seules limites de l’artiste, c’est l’imaginaire.

Raphael «Somnambules», CD Warner. A la Fête de l’Espoir, Centre sportif du Bout du monde, sa 30 mai, 18 h 25, winfos sur le site de la Fête de l’Espoir (TDG)

Par Fabrice Gottraux tdg.ch