RAPHAEL, RETOUR SUR TERRE

Il manie la langue des gens chics. Un français élégant, des mots pesés, bien choisis pour décrypter son état d’esprit. Raphael ne se laisse pas emporter par le tourbillon du succès. Au contraire. Réaliste, il vit un rêve tout éveillé en sachant que rien n’est acquis. Prudent, il fait attention à son image, et demande toujours à voir les photos. Pour être rassuré. Clairvoyant, il sait que le million de ventes de « Caravane » est en partie dà» à la chance. Ou alors peut être se cache-t-il derrière une fausse pudeur, pour mieux se préparer à une éventuelle chute. A 30 ans, Raphael doit se réveiller chaque matin en vivant son rêve. Musicien enfin reconnu respecté, il doit signer des autographes. Car le succès colle à cet ange vénéré par des filles en pà¢moison devant sa beauté d’éphèbe. Qui aurait cru à ses débuts que ce jeune garçon mi-arrogant, mi-timide irait si haut. Hormis Caroline Manset, sa manageuse, et lui-même, pas grand monde. Depuis octobre 2005 pourtant, tous ses concerts se sont joués à guichets fermés. Le consacrant définitivement comme l’artiste de l’année.

Entretien avec Benjamin Locoge

Q :Vous n’en avez pas marre de la tournée ?
R : J’ai beau jouer les mêmes chansons tous les soirs, je ne m’ennuie pas. J’ai même le sentiment que l’adrénaline va me manquer quand la tournée sera finieÂ…Mais j’espère que j’en ferai d’autres dans ma vie.
Q : Comment vivez vous cette nouvelle célébrité ?
R : Dans ma vie comme dans la musique, le succès n’a pas changé grand-chose. On verra avec le prochain albumÂ…On a des trucs en soi qui doivent sortir ou ne pas sortir. Vendre des disques n’y change rien. Lorsqu’on me reconnaà®t dans la rue, c’est assez agréable en général. J’ai le sentiment d’habiter dans un village de gens qui se reconnaissent dans mes chansons, ça fait plaisir.
Q : Vous ne vous êtes pas sentis dépasser par cette folie « Raphael » ?
R : Je suis habituellement très vite dépassé par tout un tas de chosesÂ… Avec la tournée, j’ai vu cela de manière logique. Quand un disque marche très bien , les salles sont pleines. C’est mathématique. J’avais donc eu le temps de m’y préparer. Désormais, chaque soir est merveilleux quand je repense à là o๠j’en étais il y a 1 an et demi. Je jouais devant 200 personnes, là nous remplissons des Zéniths. J’étais très content de la situation d’avant. Mais le succès me rend la vie plus belle, je le savoure tous les jours. Je me cache dans la salle, je regarde les gens arriver. Je vois la ferveur que leur procure ma musique.
Q : Vous n’avez pas peur de la suite ?
R : Je me sens toujours au bord d’un gouffre. Je doute énormément, tous les jours. Je ne suis jamais serein. Pour chaque album, j’ai toujours ressenti une pression. Quand un disque ne marche pas, on ne sait pas si l’on va pouvoir continuer. Quand il cartonne, on a envie de faire mieux. Et quoi qu’il se passe, j’ai l’angoisse de la page blanche, l’angoisse, aujourd’hui, de décevoir les gens. Alors mon objectif actuel n’est pas de faire un album qui marche autant que « Caravane ». Ce succès est fortuit. Je ne pouvais ni le prévoir, ni l’anticiper. Forcément, je vais traverser des périodes de doute, de remise en question. Mais le plus important, c’est de savoir ce dont j’ai envie musicalement, et comment y parvenir le mieux possible, sans être prisonnier des chansons passées. L’erreur serait de refaire « Caravane » ou « Et dans 150 ans ».
Q : Vous avez écrit de nouvelles chansons ?
R : J’ai beaucoup écrit l’été dernier avant de partir en tournée, puis en janvier et février pendant notre pause. Mais je ne suis pas pressé d’entrer en studio. J’ai envie de vivre des choses avant de me remettre à composer. Dès la fin des concerts, en octobre, je vais partir 3 mois en voyage et je reviendrai avec plein de chansons !
Q : Vous allez faire du tourisme musical ?
R : J’ai très envie d’aller au Mali essayer le studio de Salif Keita, j’ai envie d’aller à Haà¯ti, en Jamaà¯que pour rencontrer des musiciens, m’enrichir , écouter des musiques nouvelles .
Q : Etonnamment, on ne vous a jamais associé à la nouvelle scène française.
R : C’est une injustice flagrante ! J’en fais autant partie que les autres. Par rapport à C Bruni, V Delerm, Bénabar, mon succès est arrivé après le leur. Cela dit, ce n’est peut être pas plus mal de ne pas avoir été associé à cette scèneÂ…
Q : Ecoutez vous les disques de vos confrères ?
R : Pour être tout à fait honnête, je n’ai rien écouté depuis longtemps. Je voudrais acheter Grand Corps Malade. Je ne suis pas obligé de suivre à la semaine près. Il se passe des trucs dans l’actualité que je n’apprends qu’au bout d’une semaine. Parfois je pense que des types sont vivants alors qu’ils sont morts depuis 3 ansÂ… On est vite déconnecté.
Q : On vous dit dictateur avec vos musiciensÂ…
R : ça dépend. Je sais ce que je veux, j’ai une idée très précise. Si les musiciens apportent un plus à la chanson, je le reconnais. Si je ne suis pas convaincu, je proteste énergiquement !! En studio, je suis à l’affà»t de l’accident musical, de l’inattendu qui crée la poésie. L’inspiration des musiciens est essentielle dans ma musique.
Q : Pourquoi composez vous pour Florent Pagny ?
R : Parce qu’il m’a demandé une chanson ! Il est venu chez moi, a pioché dans mon stock de chansons prêtes, et voilà .
Q : L’association Pagny-Raphael n’était pas pourtant des plus évidentes.
R : Pourquoi pas ? Il en avait vraiment envie et est très attachant. Nous avons discuté de la manière de faire la chanson. Elle était toute simple, il ne fallait pas perdre la petite délicatesse qu’elle contient. Il était d’accord. Il a mis sa voix sur la maquette et c’était fait. Je suis super content du résultat.
Q : Vous travaillez pas mal avec G Manset également.
R : Pas mal est un grand mot. Quand j’ai rencontré Caroline, sa fille, je ne savais pas du tout qui il était. J’ai mis beaucoup de temps avant d’écouter ce qu’il faisait. A partir du moment o๠je l’ai découvert, il m’a fasciné. Aujourd’hui, on dit de lui qu’il est culteÂ… Je ne vois pas trop ce que ça veut dire. C’est avant tout un musicien, un parolier et un compositeur fascinant. Son dernier disque est une véritable réussite.
Q : Avez-vous des amis en dehors du monde de la musique ?
R : La tournée m’a coupé du monde ! Je n’ai plus d’amis à Paris, je vis avec une vingtaine de personnes au quotidien sur la route. Quand on rentre, un jour par semaine, je n’ai pas le courage d’appeler les gens. Je reporte plein de choses à plus tard, alors qu’avant j’étais toujours disponible pour mes potes.
Q : Adolescent, vous étiez fan de Bowie, avez-vous vécu dans le mythe rock’n’roll ?
R : J’ai toujours été fasciné par l’apparente invulnérabilité des rocks stars. Quand on voit un D Bowie ou un K Richards, on se demande forcément comment ils font pour être toujours en vie. Et à la fois, tous ces commérages sont peut être faux, on ne sait pas, et on ne saura jamais. Leur aura sulfureuse les dépasse, qu’elle soit véritable ou pas. Moi, quand je passe une nuit blanche, je suis à ramasser à la petite cuillère. Je suis de nature fragileÂ…
Q : Vous n’avez pas passé de nuits à fumer des pétards, à boire des bières en écoutant du rock ?
R : Je n’ai jamais pris de drogues dures. J’ai passé des nuits à jouer du rock en buvant des bières. Mais je dormais le lendemain ! C’est un peu l’histoire de ma vie d’ailleurs, c’est ce que je fais tous les soirs en ce momentÂ…
Q : Le rock a pourtant perdu son coté sulfureux.
R : Le rap a remplacé le rock de ce coté là . L’aspect voyou du rock, on le retrouve dans le rap, notamment aux Etats-Unis. Les mecs se tirent dessus, se prennent des balles perduesÂ…Cela en fait une musique extrêmement créative, alors que dans le rock contemporain il y a moins de choses surprenantes.
Q : Vous souvenez vous de votre premier concert ?
R : Evidemment, j’étais mort de trouille ! Je m’étais incrusté dans un groupe de jazz, alors que je ne savais pas du tout en jouer. J’étais un usurpateur complet ! J’avais interprété une chanson de BB King, B Magimel était aux percussions. C’était marrant. Après je suis allé chanter sous les ponts avec mes copains pour la Fête de la musiqueÂ…
Q : Vos parents, l’un et l’autre avocats, vous ont-ils encouragé dans cette voie ?
R : Ils m’ont toujours soutenu dans mes idées. Même quand ça ne marchait pas, ils étaient contents que j’aie réussi à faire de la musique. Ce sont des passionnés, ils ont besoin de voir les gens autour d’eux s’éclater.
Q : A qui faites vous écouter vos chansons ?
R : 2 personnes : Caroline, ma manageuse et Mélanie, ma compagne.
Q : Pourquoi chantez vous les délaissés ou l’injustice ? Ce sont des thèmes convenus.
R : Je défends des positions partagées par tout le monde. Je n’ai pas vocation à être polémique. Quand je parle de l’injustice, personne ne va dire « c’est bien l’injustice ». Je ressens le besoin d’en parler mais je ne prends pas parti politiquement. à‡a ne m’intéresse pas du tout. J’ai beaucoup de respect pour les hommes politiques, à l’exception des extrémistes, mais je ne trouve pas que mon rà´le soit de s’exprimer sur ces sujets. Je participe aux Restos du cÂœur, je réponds aux associations qui me sollicitent, mais ce ne sont pas des actions politiques. Je préfère m’en tenir là .
Q : Il y a 1 an, vous nous disiez espérer écrire une chanson grand public, de la trempe de « Petite Marie » de Cabrel ou « Mistral Gagnant » de Renaud. Est-ce que « Caravane » ne serait pas cette chanson ?
R : S’il en fallait une dans ce registre, je penserais plutà´t à « Et dans 150 ans », mais je suis bien loin d’avoir atteint ce niveau. Donc cela reste toujours un de mes rêves

Paris Match