Raphael : “Je suis fan de DiCaprio, je pourrais avoir un poster de lui dans ma chambre !”

A l’heure où sort Anticyclone, votre huitième album studio, la presse continue de citer Pacific 231, sorti en 2010, comme un tournant de votre carrière. Comment vous l’expliquez-vous ?

Au moment de Caravane, j’ai eu de très bonnes critiques, un très gros succès. Je me suis retrouvé dans la peau du mec irritant qui fait trois cents plateaux télé par an, ça lisse un peu… Les gros succès développent souvent une espèce de passion, puis une forme de rejet. C’est ce qu’il s’est passé sur le disque d’après, qui n’était de toute façon pas très bon… C’était un album d’enfant gâté, où j’étais pris en charge pour tout, ça manquait de désir. Pour le suivant, je me suis remis dans une logique de musicien.

C’est-à-dire ?

Penser avant tout à faire de belles choses. Le fait d’avoir eu un disque qui a très bien marché ne doit en aucun cas être un frein ou une pression… C’est une chance, une liberté : ton métier c’est d’être musicien, d’écrire des choses courageuses. Donc à partir de Pacific, j’ai décidé d’essayer d’être le plus libre possible. C’est sans doute pour ça que les gens aiment bien cet album. Même s’il est imposible de faire l’unanimité. Quand j’ai sorti le disque Super-Welter, j’ai reçu du courrier : « Monsieur c’est un scandale, il faudrait que vous me remboursiez mon disque, le son est ignoble, je ne comprends pas qu’on puisse faire des choses aussi imparfaites ! »… J’ai trouvé ça drôle.

Depuis, vous n’avez eu de cesse de vous renouveler musicalement ?

C’est souvent quand on travaille avec d’autres personnes qu’on se réinvente. Pour Super-Welter (2012), j’ai travaillé avec The Shoes : pour eux, une chanson c’est une texture sonore, du découpage, ils prennent la voix, ils la découpent ; c’était vachement bien, j’adore ce disque.

Pour Somnambules (2015) j’ai travaillé avec David Ivar d’Herman Düne. Lui c’est un mélodiste fou, qui fait des chansons splendides. Il chante, c’est un oiseau, il peut écrire cinq chansons par jour. On est partis en voyage ensemble, on a fait du surf, c’était super ; ça a fait un disque qui était lumineux, en partie grâce à lui. Anticyclone a été pensé avec Gaëtan Roussel… Quand on travaille avec des gens très doués, c’est tellement plus motivant (rires) !

Anticyclone est le deuxième de vos disques auquel Gaëtan Roussel collabore, mais le premier dont il signe la réalisation…

Je l’ai rencontré il y a deux ans pour Somnambules, il avait écrit la dernière chanson de l’album. J’avais beaucoup apprécié notre travail en studio. J’aime son élégance, sa gentillesse, sa patience, et son humilité. Nous avons à nouveau collaboré sur la scénographie et les arrangements du concert autour de Gérard Manset pour Les Francofolies de La Rochelle (2015).

Lorsque je lui ai proposé de réaliser Anticyclone, il a accepté à condition que le disque possède  un gros son. Je trouve qu’il a parfaitement réussi, alors que c’était une mission compliquée : il n’avait pas écrit les chansons, donc il devait s’adapter à la matière existante. D’habitude quand il produit un disque, il en écrit aussi les mélodies. Là, il s’est lancé dans la pente comme ça, sans trembler, mais en se posant les bonnes questions… brillant. J’adore ce mec

Il y a plusieurs correspondances entre ce disque et votre premier livre, paru en début d’année. Le thème de la survie y est particulièrement présent…

J’adore les livres et les films de survie, par exemple. Je trouve que The Revenant est un chef d’œuvre ! Déjà je suis un vrai fan de DiCaprio, je le trouve incroyable, je pourrais avoir un poster de lui dans ma chambre (rires) !

“A Koh-Lanta, je me fais tuer par une guêpe à l’aéroport, avant même d’arriver dans la jungle !”

Dans la même logique, j’aime beaucoup la voile. C’est assez fascinant, vous prenez un voilier, vous allez à 10 miles des côtes : il n’y a plus personne, c’est le désert complet. Le monde y est comme il y était à l’origine. Ça raconte aussi quelque chose de ce qu’on est. De notre place dans la société, de notre importance face à la nature… Moi à Koh-Lanta, je me fais tuer par une guêpe à l’aéroport, avant même d’arriver dans la jungle (rires) !

Vous avez aussi une vraie obsession pour l’eau…

C’est vrai que je sens un truc spécial avec la mer. Si je me lève le matin, et que je pique une tête dans l’océan même trois minutes, j’ai l’impression que j’ai fait quelque chose de ma journée. Ça vous lave de tout et ça vous transmet une énergie folle…

“ Je suis sûr que de grands écrivains, des Malcolm Lowry ou des James Joyce, auraient fait de très grands paroliers”

On a vu cette année des chanteurs rafler quelques prix littéraires. Vous avez obtenu en mai dernier le Prix Goncourt de la nouvelle avec Retourner à la mer, le chanteur Gaël Faye s’est vu décerner lui, le Goncourt des lycéens pour son premier roman. Est-ce une reconnaissance importante en tant qu’auteur ?

Bien sûr ! C’était déjà totalement inespéré, c’est aujourd’hui un grand honneur, parce que c’est un prix magnifique, donné par des écrivains que j’aime, que je lis, que j’ai lu… Je mentirais si je disais que ça ne m’a pas rendu très heureux, j’ai essayé de ne pas sourire pendant trois mois, c’était dur. Mais ça ne m’étonne pas que les chanteurs puissent bien écrire. Inversement je suis sûr que de grands écrivains, des Malcolm Lowry ou des James Joyce, auraient fait de très grands paroliers, parce qu’ils ont un style.

Les chanteurs sont doués pour plein de choses. Ceux qui font des bandes originales de film les font très bien : Alexander Ebert, Nick Cave… John Cale fait des musiques de film insensées ! On sous-estime parfois les chanteurs, moi je les trouve très bons. Ils peuvent écrire de beaux livres, faire de très bonnes musiques de films. J’espère réaliser un film, et si je ne faisais pas la BO, je demanderais à un chanteur plus qu’à un musicien spécialisé en musiques de films.

Quel genre de film avez-vous pour projet de réaliser ?

Ça pourrait être une comédie dramatique ou un film de fantômes. Une histoire assez touchante, qui basculerait dans le conte. Rien de précis pour l’instant, car le cinéma, c’est une autre temporalité. Vous faites un tableau, vous le peignez, il est fini. Une chanson c’est pareil, vous l’écrivez en cinq minutes. Un film, c’est un travail sur des années et des années, surtout quand on n’en a jamais fait, qu’on n’est pas dans cette mécanique-là, et ça coûte beaucoup d’argent. J’espère que je réussirai à le faire un jour.