Raphaël : “Je ne suis pas très mondain”

Raphaël Haroche, le 31 janvier à l’hôtel particulier Montmartre à Paris. (JULIEN DE FONTENAY POUR LE JDD)

Afficher son nom, c’est se mettre à nu?
Jusque-là, peut-être avais-je envie de brouiller les pistes. Mon nom me rappelait trop ­l’appel de la classe à l’école. Mais ­contrairement à un chanteur, Christophe, ­Renaud ou Barbara, un écrivain ne s’efface pas ­derrière un prénom. Il ­publie avec un nom et un prénom. Mon éditeur me l’a aimablement ­suggéré.

Ne craignez-vous pas de perdre un certain anonymat?
Ce n’est pas le centre de mes préoccupations, je ne me sens pas particulièrement people. Mes ­activités sociales sont très réduites. Soit je suis en famille, soit je dîne avec des copains, soit je suis sur mon caillou en ­Bretagne ou sur un bateau. Je ne suis pas très mondain et je ne me reconnais pas dans la célébrité d’aujourd’hui. Sur ­Instagram, n’importe quel mannequin a ­cinquante fois plus de puissance que Bowie et Jagger réunis.

” J’admire les artistes qui sortent de leur domaine de prédilection”

Écrivain, c’est une reconversion?
Non! Je sors mon huitième album en septembre et je ­travaille actuellement sur la bande originale du film Chien de mon ami Samuel Benchetrit. J’aime ma vie de musicien. Mais il faut savoir tenter de nouvelles choses. À une époque, j’ai piloté des ­avions et j’aimerais un jour faire le tour du monde en voilier ou de l’alpinisme. J’admire les artistes qui sortent de leur domaine de prédilection. Dylan a été peintre, cinéaste, il a même obtenu le prix Nobel de ­littérature! Moi, je n’avais jamais écrit autrement qu’en chansons. Un jour, je me suis mis à ma table de travail. J’avais l’image d’un petit veau dans le hall fantôme d’un abattoir alors que son troupeau venait d’être exterminé. Crayon à la main, modestement, j’ai grimpé marche après marche.

Quelles histoires vous racontait votre maman?
Elle ne m’inventait pas d’histoires, elle me lisait Le Comte de Monte-Cristo. Les livres avaient un caractère sacré. Il y avait de beaux livres pour enfants de Saint-Exupéry ou Ionesco. Et puis… Tintin. Ça m’est resté. Tintin au Tibet, quoi de plus beau?

Quelles histoires racontez-vous à vos enfants?
Longtemps, je leur ai inventé les aventures de Capitaine ­Pigeon, un oiseau qui revenait se poser sur le toit de notre maison après avoir fait le tour du monde. Maintenant, ils aiment les vraies histoires : mythologie, conquête de l’espace. Moi? Je suis plongé dans Proust, Albertine disparue.

Quand l’enfance s’est-elle arrêtée pour vous?
La mort de Bowie, l’année dernière, a peut-être signé la fin de ma jeunesse. On le retrouve d’ailleurs dans une de mes nouvelles. C’était en 1987, j’avais 11 ans, on m’avait emmené le voir en concert. Je me revois juché sur les épaules d’un ­inconnu à 350 m de la scène. Depuis, ce Dorian Gray à la voix si basse n’a cessé de me fasciner.

“J’écris sur ce que je vois aujourd’hui”

Quels autres voyages vous font rêver?
Cette année, j’ai passé trois semaines en Inde avec mon cousin, le fils de mon oncle physicien [Serge Haroche, Prix Nobel de physique 2012]. À Bénarès, j’ai découvert les bûchers funéraires. Ensuite, je suis parti quatre semaines en tournée en Asie. Avec les ­musiciens et nos familles, on est allés au Laos, le Vietnam, en Thaïlande, en Malaisie… Il y a aussi l’Italie mais surtout la Bretagne. Vers Saint-Malo, Bréhat, c’est magnifique.

Savez-vous d’où vous venez, Raphaël Haroche?
De déracinés. L’Europe des années 1930, gagnée à la fois par l’obscurantisme et l’extrémisme du nazisme et du communisme, obligeait à la transhumance. Mon père est né à Casablanca d’un homme venu de Salé. Ma grand-mère était ukrainienne, d’Odessa. Juifs des deux côtés. Mais ce sont les histoires d’un monde ancien. Moi, j’écris sur ce que je vois aujourd’hui avec ces gens dans la rue, la violence qui monte d’un cran, des vies également malmenées.

Raphaël Haroche, Retourner à la mer, Gallimard, 176 p., 17,50 euros.

Source: JDD papier