Raphael : « J’ai appris A accepter l’accident »

Aux Victoires de la musique, votre maquillage avait étonné le public, avez-vous été surpris de susciter autant d’interrogations ?
C’était une décision assez impulsive, je n’avais même pas préparé ça pendant les répétitions. Je voulais reprendre l’idée de la pochette. Je voulais me déguiser et m’amuser. J’étais content d’être là, c’était un bon moment, et il y a 30 000 mecs derrière leur écran qui sont prêts à dégainer dès que tu fais un truc. Je n’ai pas Twitter, mais j’ai lu les différentes théories, elles sont toutes vraies, un peu de chirurgie esthétique plus de la bagarre (rires).
Votre nouvel album est-il né dans cet esprit de spontanéité ?
J’ai appris un truc avec le disque précédent : accepter l’accident, être plus désinvolte et moins perfectionniste dans ma façon de travailler. J’avais envie de faire un disque qui parle de l’enfance depuis longtemps. Et depuis que je suis père, ça s’est forcément accéléré, mais je ne savais pas quelle forme ça pouvait prendre.
Quel a été le déclic ?
J’ai loué un appartement et quand j’ai ouvert les fenêtres le lendemain, j’ai entendu les cris d’enfants parce qu’il était situé juste au-dessus d’une école maternelle. Dès que je faisais une démo, on entendait des gazouillis, du brouhaha et des jolis bruits qui se mélangeaient à ma voix. Et puis, j’ai écrit ce disque dans la période très bouleversante où ma femme était enceinte de mon deuxième garçon, donc j’étais forcément plus sensible. Il y a des chansons qui parlent de ça, puisque si je devais me définir, je dirais que je suis un père de famille. Je raconte ce que je vois.
Etait-ce aussi enthousiasmant que ce que vous imaginiez ?
Oui, c’était merveilleux. Ces gosses ont une putain d’énergie et je crois qu’ils ont passé un bon moment. Avec mon pote d’Herman Dune, on est venus leur montrer les chansons à la guitare. Ensuite, on est venus déguisés et maquillés comme sur la pochette de l’album et on s’est bien marrés. On a fini par faire de la musique au piano avec une des petites filles.
L’arrivée d’un deuxième enfant vous a-t-elle recentré sur des valeurs plus essentielles ?
Non, je ne suis pas forcément plus père qu’artiste. Je ne suis heureux que quand je fais de la musique. Je ne suis pas du tout quelqu’un de paresseux, j’ai besoin de travailler. Quand je ne fais pas d’albums, je fais des musiques de films ou des collaborations.
Faites-vous partie des artistes atteints du syndrome de Peter Pan ?
Non, je ne me sens pas du tout un enfant dans l’âme. C’est ma vision de père qui se retrouve sur l’album. Comme tout artiste, je me sens un peu infantile, j’ai gardé mon insouciance, j’en profite beaucoup. Je m’en fiche de vieillir, tant qu’on reste en forme. Grâce à mes deux enfants, j’ai l’impression d’être plus fantaisiste que je ne l’ai jamais été. Ça ne m’empêche pas de trouver le conte très beau, plus sombre que chez Disney.
On a l’impression qu’on ne vous a jamais vu aussi serein…
J’aime beaucoup ce disque, parce qu’il a été fait avec amour, un peu comme on ferait un bon gâteau, avec des bons copains. J’ai travaillé avec mon ami d’enfance, Sébastien Duclos, que je connais depuis que j’ai 4 ans, et qui a monté la société Play On. C’est lui qui m’avait présenté Zaz quand elle chantait encore dans la rue. L’ambiance au moment de l’enregistrement était très agréable, on ne s’est pas pris la tête. Ce que j’aime bien, c’est que quand je chante tout seul à la guitare, les chansons ont l’air de voler. Après, je suis inquiet, j’aimerais bien qu’il marche parce que je le trouve très beau. C’est deux ou trois ans d’une vie et je sais qu’un projet peut être balayé au bout de 15 jours si ça ne prend pas et qu’on peut craindre un retour de bâton.
Même après autant d’années de carrière, cette angoisse persiste ?
Oui, parce que le but des chansons, c’est d’arriver jusqu’aux gens, qu’elles soient écoutées et partagées. Ça reste un art très populaire, il faut qu’elles puissent voyager, ce n’est pas fait juste pour soi et ses copains. Je trouve en plus que ce disque me ressemble, il n’a pas trop de posture. Je lui souhaite une belle vie. Je crois que les gens préfèrent les chansons aux artistes, c’est un peu comme un parfum qu’ils aiment respirer.
« Ma femme est bien meilleure comédienne que moi »
Quel regard portez-vous sur votre discographie ?
J’aurais toujours une tendresse pour Caravane, le fait que ses chansons aient eu un impact dans la vie de plein gens. Je les aime, c’est comme de bons vieux copains. J’ai toujours autant de plaisir à les jouer sur scène. Mes deux disques préférés sont les deux derniers, Super Walter et Somnanbules. Avec Pacific 231, j’avais amorcé un virage mais certains mouvements étaient un peu forcés. C’est plus difficile à réécouter parce que je voulais prouver un truc.
Comment s’inscrire dans l’air du temps quand on fait de la chanson plus traditionnelle ?
Je ne me définis pas par rapport à ce qui marche en radio, je ne cherche pas à me tirer la bourre avec d’autres gens, je fais mon truc dans mon coin. J’essaye de faire ce que j’ai en moi et je me demande comment ça peut arriver jusqu’aux gens. Chacun a sa place et son public, c’est aussi une question d’âge. Quand j’étais gosse, j’écoutais du David Bowie, Talk Talk, Lou Reed. Je crois que les gosses d’aujourd’hui écoutent encore ce genre de trucs. Ils sont brillants, mais ils ont accès à des choses extraordinaires et pourries en même temps. Il faut juste faire preuve de beaucoup de discernement.
Gaëtan Roussel vous a écrit la chanson « Eyes on the island », comment s’est passée votre rencontre ?
C’était presque trop tard dans le processus d’enregistrement ! Mais finalement, on s’est vus, on a bu un verre de vin. Il m’a dit qu’il avait écrit ce titre en pensant à moi et j’étais flatté parce qu’il le fait pour peu de gens. Le côté accidenté du truc arrivé au dernier moment, je me suis dit que c’était un signe. J’ai trouvé la chanson jolie et on a passé une journée assez délicieuse en studio.
Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement sur une création pour les Francofolies de La Rochelle autour d’un album de Gérard Manset, Matrice. Ça va être assez orchestral, j’aimerais bien l’amener vers quelque chose de symphonique. Je finis aussi deux musiques de films, dont celui de mon ami Samuel Benchetrit et de Thomas Bidegain.
Samuel Benchetrit ne vous a pas proposé un rôle ?
Non, je ne suis pas acteur, je préfère faire de la musique. J’adorerais réaliser un film, mais le jeu d’acteur, je n’ai pas ça en moi. J’ai eu quelques rôles au théâtre et au cinéma, mais je n’étais pas à l’aise. Peut-être que j’arriverais un jour à être bon par accident ! Il faut du talent pour faire ça, ma femme (Mélanie Thierry, ndlr) fait ça tellement mieux que moi ! En trois secondes, elle te bouleverse, c’est du travail le matin au soir, ça ne s’improvise pas. Il faut être doué et bosser comme un salaud, et je n’ai ni l’un ni l’autre ! (rires)

BORIS TAMPIGNY – metronews.fr