Raphael sort un septième album studio surprenant. Somnambules compte 13 chansons dont 12 acoustiques, pour la plupart accompagnées de voix d’enfants. Le chanteur français, qui fêtera bientôt ses 40 ans, prend son public par la main et l’entraîne dans une ronde enfantine et lumineuse. De passage à Genève, il revient avec La Liberté sur la création de ce projet, en partie enregistré dans une école parisienne.
– Pourquoi avez-vous eu envie de travailler sur le thème de l’enfance?
Raphael: J’ai une voix très mélancolique alors c’était bien de la mélanger avec des chœurs d’enfants, de foutre un peu d’énergie, de bousculer les choses. Ça faisait longtemps que j’avais envie d’aborder l’enfance, c’est un sujet joyeux qui me plaît bien, une période importante de la vie.
– Souffrez-vous du syndrome de Peter Pan, qui ne veut pas grandir?
Non pas du tout. Les adultes, les artistes surtout, sont assez immatures et c’est quelque chose qu’on aime chez eux. J’aimerais bien garder ce côté un peu facétieux, mais je ne suis pas un éternel ado.
– Pour capter l’enfance, était-ce nécessaire de travailler avec des enfants?
Pas forcément. Mais j’avais envie d’avoir des chœurs d’enfants utilisés comme un instrument. Je voulais dépoussiérer l’idée de chorale qu’on a en France qui est quelque chose de très joli, de très propret, de très mignon.
– Vous avez donc enregistré dans une école de Paris…
Oui, l’école en bas de chez moi. Je savais que c’était une école assez ouverte et artistique parce que j’avais eu l’occasion d’y aller quand mon fils était en maternelle, il chantait là-bas. La directrice a un caractère super, les profs aussi, ils étaient tous enthousiastes.
– Comment s’est passé l’enregistrement? Vous avez travaillé avec les classes pendant quelque temps?
C’est assez rapide en fait parce que le but était que les enfants ne soient pas trop dans les réflexes, pas trop «professionnels». Je voulais qu’ils se marrent. Donc j’ai passé une après-midi avec eux à jouer mes chansons à la guitare et au piano. Ensuite on a passé une autre heure avec un beatboxer histoire de les faire marrer, les connaître un peu et finalement une après-midi à enregistrer.
– Que vous ont inspiré ces moments-là?
C’était vraiment délicieux, de super journées. J’avais un peu le trac en arrivant! Mais ce sont des gosses marrants, ils sont malins, ils vont vite. Comme j’habite dans le même quartier, je les croise de temps en temps et ils me disent «alors, ça sort quand ton truc, tu nous en donnes un quand même?» C’est une petite aventure. Enfant, ça m’aurait plu d’enregistrer un album, de faire des clips, d’entendre ça passer à la radio. Etre au cœur de quelque chose.
– Les chansons de «Somnambules» sont indissociables des voix d’enfants. Comment allez-vous faire pour tourner cet album?
Je vais essayer de demander, dans chaque ville, à des élèves de conservatoires s’ils peuvent répéter un petit peu avec leur prof. Ensuite je les retrouve à la balance, on monte sur scène et on voit ce qu’il se passe, on se débrouille!
– Pourquoi ce titre, «Somnambules»?
Parce que mon fils est somnambule. Pendant des petits moments il peut se lever, parler, en étant encore dans son rêve. Je trouvais que c’était joli. Et le personnage du somnambule est assez beau. On l’imagine doté d’un savoir, des choses qu’on ne saurait pas faire dans la vraie vie. Un savoir d’enfant, en lien avec les sensations de déjà-vu, qui disparaissent avec le temps. Je crois beaucoup aux vies précédentes, à l’idée de continuité. Un truc un peu romantique.
– Vous avez enregistré ce disque en quelques jours. Souhaitiez-vous vous accorder le luxe de l’imperfection?
Je pense que toutes les choses intéressantes en musique ou ailleurs sont liées aux accidents, au chaos, ce qui se passe quand on n’a pas prévu, ce qui arrive quand on ne fait pas attention. Ce qui est propre, lisse, calculé n’est pas très intéressant, en tout cas ça n’amène jamais rien de nouveau. Là tout a été fait spontanément, c’était des moments. Je crois que le disque est original, qu’il ne ressemble à aucun autre. Le plaisir qu’on a eu avec les gosses en l’enregistrant valide déjà cet album. J’espère qu’il aura une belle vie.
– Le Raphael de «Caravane» et de «Pacific 231» est donc passé à autre chose?
Je ne vois pas une grande rupture. Pacific était un virage. Je trouve Somnambules plus proche de Caravane. Il est très intime. Il y a beaucoup moins de paravents, je raconte ce qui se passe dans ma vie, avec très peu de distance.
– Après un détour plus électronique dans «Super Welter», vous revenez à l’acoustique. Est-ce votre marque de fabrique?
Super Welter était traversé d’écrans, il ressemblait au monde d’aujourd’hui, numérique, digital. J’avais envie de quelque chose d’un peu plus chaud, qu’on sente le soufflet de l’harmonium, la chaleur d’un orchestre à cordes, des voix d’enfants, le tout enregistré en analogique.
– Vous avez aussi réalisé votre dernier clip. Avez-vous envie de toucher à d’autres formes d’art?
Oui. Je fais aussi des musiques de film en ce moment. J’adore écrire des chansons mais j’aime bien me confronter à d’autres univers. Samedi (aujourd’hui, ndlr), je vais enregistrer avec un orchestre symphonique, avec 70 musiciens. En ce moment je travaille sur deux films: Asphalte de Samuel Benchetrit, et un autre qui s’appelle Les Cow-Boys. Ce dernier est le premier film de Thomas Bidegain, un scénariste qui a notamment écrit pour Audiard et Bonello. I
Critique
Bagarres de gosses et luttes d’adultes
Des voix d’enfants. Qui chantent, qui crient, qui jouent. Qui habillent le dernier album de Raphael, Somnambules. Après les sonorités electro de Super Welter, le chanteur français revient à l’acoustique pour un album qui a des airs de cour de récréation. Enregistré avec les élèves d’une école, dont les voix accompagnent celle de Raphael, il raconte les doutes de celui qui refuse de grandir. Cet album est un projet total plus que musical. Il est un bout d’enfance prélevée à la source, peut-être pour comprendre pourquoi et comment les bagarres de gosses deviennent des luttes d’adultes. Bien loin des chansons d’amour de Caravane, Somnambules est un album à la tendresse nostalgique, composé de sonorités douces qui sont autant d’échappatoires à la brutalité du dehors. Une guitare, de l’harmonium et des cordes accompagnent les chants, le chœur d’enfants faisant aussi office d’instrument en rythmant les chansons.
Si Raphael tisse un cocon musical, ce n’est pas sans prendre de risque, tant ce disque ne ressemble à aucun autre. Le jeune papa semble vouloir s’accorder le luxe de l’imperfection, visant au plus près de la sincérité. «Pour lutter contre l’intox, pour lutter contre la grogne, pour lutter contre l’ennui», scande-t-il dans la chanson Primaire. Une façon, surtout, de lutter contre la banalité en proposant un album différent. DL
> Raphael, Somnambules, Warner Music.