Les interviews d’Hep Taxi !

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Raphaël dans le taxi de Jérôme Colin : L’interview intégrale

JÉRÔME: Bonjour.
RAPHAËL: Hello. Bonjour cher ami. Comment ça va ?

JÉRÔME: Ça va bien.
RAPHAËL: C’est pour aller à l’Hôtel Métropole, place du Brouckère. Svp. De Brouckère ? Du Brouckère ?

JÉRÔME: De Brouckère.
RAPHAËL: De Brouckère !

JÉRÔME: Vous ne connaissez pas Brel ou quoi !
RAPHAËL: Place de Brouckère. Je connais Dick Annegarn.

JÉRÔME: Dick Annegarn.
RAPHAËL: Mais des fois je ne comprends pas tout à fait ce qu’il dit. Au revoir ! Coucou les amis. Vous avez vu il y a des gens qui font coucou dans la rue.

JÉRÔME: Oui. Place de Brouckère ?
RAPHAËL: Place de Brouckère.

JÉRÔME: Vous n’avez pas l’air bien réveillé. C’est pas une critique, c’est juste…
RAPHAËL: Non j’ai toujours cet air un peu endormi.

JÉRÔME: C’est vrai ?
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
RAPHAËL: Oui. C’est… dans ma nature. Un air un peu, oui, je vous regarde dessous la paupière.

JÉRÔME: C’est dans mon sang, un mélange de mes parents, c’est ça ?
RAPHAËL: Exactement.

JÉRÔME: Je suis content de vous avoir là.
RAPHAËL: Merci.

JÉRÔME: C’est plus simple.
RAPHAËL: Oui. Je suis content d’être là aussi. Je suis très content. Je suis content de revenir ici.
La mer.

JÉRÔME: Vous ne savez pas ce qui vous attend.
RAPHAËL: Non. Mais je suis content de revenir à Bruxelles, toujours. J’ai toujours l’impression qu’il y a la mer quelque part ici.

JÉRÔME: C’est vrai ?
RAPHAËL: Oui. Il y a toujours une ou deux places où on s’attend à voir la mer débarquer. Et jamais elle n’arrive. Mais…

JÉRÔME: Je n’avais jamais vu la ville de cette façon.
RAPHAËL: C’est la seule ville qui me fait ça. Parce qu’il y a des villes genre, où il y a la mer, je m’attends à la voir, mais vraiment Bruxelles je ne sais pas pourquoi il y a ce truc-là. Il y a un horizon différent.

JÉRÔME: Vous enregistrez vos disques ici ?
RAPHAËL: J’ai fait un seul disque ici, mon premier album je l’ai fait à l’ICP.

JÉRÔME: Vous n’êtes pas revenu pourquoi ? Parce que vous n’aviez pas vu la mer, vous n’étiez pas content.
RAPHAËL: Non, je ne suis pas revenu parce que j’aime bien être chez moi, j’aime bien pouvoir faire écouter à ma copine le soir ce que je fais, pouvoir faire écouter à mes potes… Quand je suis trop coupé du monde je perds un peu mon discernement. J’ai besoin de pouvoir couper tous les soirs, voir d’autres gens que des gens de la musique, ça fait vraiment du bien.
Votre entourage, ce n’est pas des gens de la musique ?
RAPHAËL: Non.

JÉRÔME: Ce ne serait pas possible ? Ce serait se replier sur soi ?
RAPHAËL: Non. Pas du tout, ce serait tout à fait possible. Disons que j’ai des copains chanteurs, des très bons copains, que ce soit Jean-Louis Aubert ou Stéphane Eicher, c’est vraiment des potes, chaque année je pars en vacances un peu avec l’un ou avec l’autre, je passe du temps vraiment, mais bon mon entourage c’est des gens avec qui je vis, c’est ma famille. Finalement, je vois assez peu d’autres gens. Sinon j’ai des copains, mais…

JÉRÔME: Vous êtes casanier ?
RAPHAËL: Oui…je suis bien chez moi, j’aime bien cuisiner, j’aime bien voir mon petit garçon aussi souvent que je le peux, c’est vraiment important. Puis j’habite… j’aime bien rester dans mon quartier. J’ai tous mes potes, c’est sympa, j’ai une petite vie de quartier.

JÉRÔME: Avoir une petite vie.
RAPHAËL: Oui, j’ai une petite vie, peinard.

JÉRÔME: C’est chouette hein !
RAPHAËL: Oui. C’est très chouette.

JÉRÔME: A 16 ans on trouve ça un peu nase…
RAPHAËL: Voilà, mais là non.

JÉRÔME: A 30…
RAPHAËL: Oui, exactement, c’est très agréable.
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JÉRÔME: Une belle petite vie.
RAPHAËL: Oui, puis vraiment, enfin bon, je ne sais pas…
Une vie rock’n’roll.

JÉRÔME: Vous avez essayé la vie un peu plus rock’n’roll ? Je sors, je bouge, je bois, je baise ?
RAPHAËL: Oui. J’ai dû arrêter de baiser.

JÉRÔME: J’espère.
RAPHAËL: C’était formidable.

JÉRÔME: C’est chouette hein.
RAPHAËL: Oui c’est formidable. Il m’arrive de boire, j’aime bien boire…je pense que quand ça devient un problème, quand ça vous empêche de travailler et tout, que ça vous rend malheureux, c’est gênant, mais sinon j’adore boire et j’adore faire la fête mais c’est vrai qu’il y a un moment où une fois qu’on a fait le tour des boîtes de nuit il y a une certaine lassitude. Je ne dis pas que ça ne va pas me reprendre un moment ou à un autre, mais pour l’instant ça ne m’intéresse pas vachement.

JÉRÔME: La famille.
RAPHAËL: Oui, les copains aussi. La camaraderie. Même parler de conneries jusqu’à 7h du matin avec des potes ça me va aussi, faire le tour des bars, rencontrer des gens, mais le côté vraiment boîte de nuit, discothèque, drague des gonzesses, déjà bon moi je suis en couple et très heureux, donc ça ne marche pas très bien ensemble. En tout cas, pas quand on le dit à la télé.

JÉRÔME: Mais est-ce que vous avez essayé… Comment ?
RAPHAËL: Ça ne marche pas très bien de le dire à la télé.

JÉRÔME: Pourquoi ?
RAPHAËL: Je veux dire, si jamais un type est avec sa gonzesse et qu’il a envie de sortir à côté, il ne vaut mieux pas qu’il le dise à la télé.

JÉRÔME: Vaut mieux pas l’avouer. Mais la question c’était : au début de votre carrière, enfin par exemple au deuxième album, quand ça a commencé… quand le succès est arrivé, est-ce que vous avez été tenté par cette vie un peu plus rock’n’roll ? Que veulent vivre tous les gens qui commencent à faire des tournées…
RAPHAËL: Oui, la vie rock’n’roll, oui bien sûr que ça m’a tenté. Je l’ai vécu un petit peu, parfois, et c’était super. C’était formidable.

JÉRÔME: Mais c’est quoi exactement ? Ce mythe.
RAPHAËL: Oui, j’allais vous demander ce que vous appelez une vie rock’n’roll.

JÉRÔME: Oui, vous le connaissez mieux que moi, ça à l’air d’être un mythe, les mythes qui entourent la vie des musiciens quand ils sont sur la route.
RAPHAËL: Il n’y a pas que les musiciens, tout le monde peut avoir une vie rock’n’roll. Si c’est… la vie rock’n’roll c’est une vie un peu… j’essaie de réfléchir en même temps que je le dis… ce serait une vie sans se ménager, ce serait surtout ça. Et dans ce sens-là, je vis un peu comme ça, sans me ménager, que ce soit pour les gens que j’aime, que ce soit, oui dans l’excès, j’aime bien bouger tout le temps, mais après ce n’est pas forcément… quand on est amoureux, ça ne va pas… enfin, on n’a pas envie d’être infidèle, c’est tout. Alors que la vie rock’n’roll c’est oui, les documentaires qu’on voit de la vie des Rolling Stones, où ils couchent avec des gonzesses, où il y a en a un qui viole à moitié une gonzesse dans un avion, ce genre de truc…

JÉRÔME: Oui, j’ai vu ce truc, on voyait Led Zeppelin aussi…
RAPHAËL: Oui, ce genre de truc.

JÉRÔME: C’est la mythologie qui ressort de tout ça.
RAPHAËL: C’est la mythologie et puis je pense que c’est un autre monde.

JÉRÔME: Mais est-ce que c’est une mythologie avec laquelle vous avez grandi ? Est-ce que vos parents ils écoutaient ça ?
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RAPHAËL: Non, mes parents ils aimaient plus Chet Baker et Glenn Gould jouant Bach et ce genre de choses.

JÉRÔME: Chet Baker ce n’était pas un ange.
RAPHAËL: Non mais c’était Chet Baker, il prenait de la poudre dans son coin, il ne fallait pas le faire chier mais il n’allait pas donner ça en spectacle.

JÉRÔME: C’était du jazz chez vous.
RAPHAËL: Oui. Plutôt. Musique classique surtout.

JÉRÔME: Comment vous êtes arrivé à la chanson ?
RAPHAËL: Non, c’est très bien, enfin, tout le monde, c’est bien de rigoler hein. Moi je suis pour rigoler.

JÉRÔME: Oui, ce serait le meilleur ça.
RAPHAËL: On n’est pas là pour chialer non plus.

JÉRÔME: En même temps, quand on entend les chansons, on se dit un petit peu quand même.
RAPHAËL: Non… Enfin…
Vous faites des chansons joyeuses vous ?
RAPHAËL: Je ne sais pas. Mais qui fait des chansons vous ?

JÉRÔME: Ben les gens qui ne sont pas connus je crois, parce que ça ne plaît à personne.
RAPHAËL: Oui, c’est ça. Les chansons c’est de la plainte, la complainte de la butte, le blues c’est une plainte, c’est réjouissant le blues, il y a quelque chose de jouissif à se plaindre aussi. Mais oui, à être… les bluesmen ils disent souvent qu’ils portent un truc trop grand pour eux, trop lourd pour eux, il y a ça un peu dans le blues, mais c’est vraiment… cette forme d’expression c’est de la plainte.

JÉRÔME: C’est quoi le truc trop lourd pour vous ? Que vous portez ? Si vous chantez ? On a tous un truc sur le dos.
RAPHAËL: Je parle des bluesmen, qui disent ça. Moi je ne dis pas forcément que j’ai un truc trop lourd pour moi. Moi je chante… pourquoi je chante ? Je chante pour dire quelque chose aux gens que j’aime, au-delà du langage je pense. C’est surtout ça et ensuite c’est une manière assez jolie de pouvoir parler à des gens quand même, leur faire des chansons. Puis aussi une manière de se comprendre soi-même, une manière d’occuper le temps, quand même ce qu’on fait… parfois on lutte contre l’ennui. La vie des hommes elle se passe à faire ça un peu.

JÉRÔME: Un peu.
Je suis anxieux de nature.
RAPHAËL: Il faut se trouver une activité. On ne peut pas attendre la mort en regardant ses doigts de pieds pousser, ce serait très déprimant.

JÉRÔME: C’est déjà assez déprimant comme ça, quand on s’occupe.
RAPHAËL: Non, moi je trouve que quand on s’occupe c’est bien, c’est cool. Mais c’est pour ça qu’on s’occupe. On a tous très peur du vide.

JÉRÔME: J’avais noté sur ma feuille : peur du vide.
RAPHAËL: Peur du vide.

JÉRÔME: Vous aussi donc.
RAPHAËL: Oui.

JÉRÔME: Vous aussi donc…
RAPHAËL: Moi aussi.

JÉRÔME: Anxieux ?
RAPHAËL: Oui. De naturel assez anxieux, assez inquiet.

JÉRÔME: Qu’est-ce qui vous inquiète comme bêtises ?
RAPHAËL: C’est-à-dire ?
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JÉRÔME: Qu’est-ce qui vous inquiète dans la vie ? Vous êtes amoureux, vous êtes papa, heureux, vous avez du succès…
RAPHAËL: Je suis très heureux. Mais… de ne pas être à la hauteur de certaines situations, de ne pas prendre soin des gens qu’on aime, de ne pas voir quand quelqu’un a besoin de vous, de tourner le dos à un ami, sans s’en rendre compte.

JÉRÔME: Vous voulez être Superman.
RAPHAËL: Non ce n’est pas que je veux être Superman mais c’est qu’on fait toujours des petites saloperies, des petites vacheries sans s’en rendre compte, par négligence, par bêtise, par oubli… Par orgueil. Mais ça, ça fait partie des choses qui m’inquiètent après, ça m’inquiète de ne pas être inspiré, ce genre de truc, de ne plus rien avoir à dire. Tout ça m’inquiète. Mais pas tous les jours ! Un petit peu.
Bowie a été mon guide culturel.

JÉRÔME: Après la musique classique qu’on écoutait à la maison, comment vous, vous êtes arrivé à la chanson, au rock ?
RAPHAËL: Par la radio, par ce genre de chose. J’ai découvert Bowie, c’était vraiment le premier éblouissement et ça reste ce que j’écoute le plus, ce que j’aime le plus peut-être, enfin j’ai écouté plein d’autres choses mais…

JÉRÔME: Vous avez senti quoi avec Bowie ?
RAPHAËL: J’ai senti qu’il y avait un pouvoir immense qui était au-delà des mots, au-delà de la musique, quelque chose qui dépassait la musique, j’ai senti en moi la puissance de la musique, comme un art qui peut générer des émotions et des sensations qu’aucun autre art ne peut générer, à travers ce mec. Avec lui, j’ai découvert plein de choses, que ce soit de la peinture, que ce soit des mecs avec qui il a bossé…

JÉRÔME: Avec qui vous avez bossé par après d’ailleurs.
RAPHAËL: Je pense aux chanteurs, Lou Reed ou Iggy Pop, ou les mecs qu’il cite comme modèles… Ça a été vraiment mon guide culturel.

JÉRÔME: Ah oui ! Ça a été votre porte d’entrée et c’est lui qui a guidé.
RAPHAËL: Oui. Bien sûr.

JÉRÔME: C’est incroyable quand même, le pouvoir…
RAPHAËL: Oui surtout que Bowie va vraiment à des choses très larges, les comédies musicales, Broadway, à des choses très expérimentales comme Glenn Branca, des choses comme ça…

JÉRÔME: C’est incroyable quand même le pouvoir inconscient, mais le pouvoir qu’a un artiste de nous guider dans la vie. Il a fait plus qu’un prof.
RAPHAËL: Oui beaucoup plus qu’un prof. Oui, d’autres artistes, qui vous aident à penser aussi, des mecs… Oui, on peut se demander qu’est-ce que Brel ferait dans cette situation, ce genre de chose.

JÉRÔME: Vous faites ça ?
RAPHAËL: Oui, ça m’arrive.

JÉRÔME: Quelle situation par exemple ?
RAPHAËL: Je ne sais pas, mais ça m’arrive de penser à ce genre de truc. Qu’est-ce qu’un mec qui a vraiment du panache et qui a cette espèce… de quelle manière il s’en foutrait. Ou Depardieu, qui peut réagir comme un punk dans cette situation, vraiment s’en foutre.

JÉRÔME: Comment il réagirait.
RAPHAËL: Oui. Souvent je me demande ça.

JÉRÔME: Vous avez fait sa première partie, à David Bowie.
RAPHAËL: Oui.

JÉRÔME: C’est dingue quand même.
RAPHAËL: Oui c’était super. C’est un beau souvenir, un très beau souvenir. C’est plus un accident de parcours, enfin il y a des milliers de gens qui ont fait sa première partie.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël

JÉRÔME: Oui mais c’est chouette.
RAPHAËL: Pour moi c’était super. Je pense que pour lui et pour le public ça n’avait aucun intérêt mais pour moi c’était super.

JÉRÔME: Il faut penser un peu à soi.
RAPHAËL: Oui. Carrément.

JÉRÔME: C’est quoi votre chanson préférée de Bowie ?
RAPHAËL: « Life on Mars ». Je crois.

JÉRÔME: « Mickey Mouse has grown up a cow ».
RAPHAËL: Oui.

JÉRÔME: C’est beau ça hein.
RAPHAËL: Oui. C’est une drôle d’idée hein. Une souris qui soit devenue une vache… C’est un texte un peu symboliste, un peu hermétique mais…

JÉRÔME: Ses peintures sont fantastiques.
RAPHAËL: Ses peintures ?

JÉRÔME: Oui, j’adore ! Il a des choses très belles.
RAPHAËL: Oui, c’est des drôles de trucs, des portraits assez bizarroïdes. Il fait des drôles de têtes.

JÉRÔME: A mon avis, anxieux peur du vide.
RAPHAËL: Sûrement. Oui, j’ai vu quelques toiles. Je ne connais pas bien mais j’ai vu quelques trucs, il fait beaucoup de portraits hein, c’est ça ?

JÉRÔME: Il fait beaucoup de portraits.
RAPHAËL: Oui… Il voulait faire sa version de « My way »… d’après ce qu’il a dit.

JÉRÔME: Je n’ai pas compris…
RAPHAËL: Il voulait faire un hommage à Franck Sinatra quand il a fait « Life on Mars ». Je ne vois pas trop l’hommage à « My way »…

JÉRÔME: Moi non plus.
RAPHAËL: Je ne vois pas la parenté mais…
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J’ai commencé en faisant du droit.

JÉRÔME: Et quoi ? Une fois Bowie découvert, vous sentez ce que vous allez faire dans la vie ? Ou pas.
RAPHAËL: Pas vraiment. Ça vraiment je ne me le suis avoué que très tard que j’allais être musicien, au moment où j’ai commencé à faire mon premier disque, et même encore au moment où j’ai fait le deuxième, ça m’est apparu comme une évidence. Jusque-là je me disais que la vie est faite d’accidents, on ne sait jamais ce qu’on va faire, ce qu’on peut faire, est-ce que ça marchera ? Est-ce que ça ne marchera pas ? J’avais commencé, je faisais du droit…

JÉRÔME: Comme papa et maman.
RAPHAËL: Oui. Exactement. Je faisais du droit, ça ne me rendait pas très heureux, je n’aimais pas trop ça, j’étais intéressé par le droit pénal, vraiment énormément mais je n’aimais pas le regard que le droit portait sur les gens. La manière dont on parlait de l’humain en droit ça me paraissait… comme quand les policiers parlent d’un, tu vois, un individu… tout d’abord l’individu se présentait, à la suite de quoi, la raison pour laquelle, cette espèce de manière de parler, en droit c’est des formules latines, quand quelqu’un est mort il porte un nom, enfin il y a tout ce genre de choses, cette espèce de costard linguistique effrayant et froid. J’avais été voir des plaidoiries à l’époque, qui me passionnaient, de pénalistes, Leclerc notamment, un grand pénaliste français, je regardais le mec défendre des braqueurs et tout, ça me fascinait, j’aimais bien ça, le monde des voyous, ce truc qu’il y avait dans le droit, mais en même temps il y avait une telle prise avec un système, on était en prise avec un système qui me paraissait tellement violent et tellement injuste et effrayant que je n’avais pas envie d’être dans une révolte permanente. Ça me faisait très peur sinon c’était du droit des affaires, ça ne m’intéressait pas du tout parce que j’en n’ai rien à foutre et que je n’y comprends rien et que, ou c’était ce droit pénal que je trouve vraiment passionnant mais…

JÉRÔME: Et vous alliez voir des procès ?
RAPHAËL: Oui j’allais voir des procès. C’était vraiment intéressant.
La transgression.

JÉRÔME: Qu’est-ce qui vous plaisait chez les truands ?
RAPHAËL: La transgression bien sûr, le fait de ne respecter aucun code, aucune règle. Il y a quelque chose que je n’aime vraiment pas chez les truands c’est que c’est des mecs qui envoient un innocent en prison à leur place quand ils ne sont pas pris. Il y a quand même… tu prends le risque d’une injustice majeure, parce que le système est ainsi fait qu’il y a toujours un mec qui va porter le chapeau et que c’est très souvent un innocent. Donc prendre ce risque-là c’est quelque chose déjà qui n’est pas acceptable pour moi.

JÉRÔME: Le côté transgressif…
RAPHAËL: La transgression, elle est propre à l’artiste. Y a des tas de films où tu vois ça, il y a toujours quelque chose de meurtrier dans l’artiste. La transgression. Plein de trucs… le film « Barton Fink », le film des frères Coen, je ne sais pas si vous avez vu…

JÉRÔME: Oui.
RAPHAËL: Le mec qui se balade, quand il y a un tueur qui lui rend visite et qui lui laisse une tête de mort dans un carton à chapeaux, qui se met à écrire quelque chose… On a besoin de faire exploser les règles pour faire quelque chose. D’être un voyou d’une certaine manière.

JÉRÔME: C’est intéressant.
RAPHAËL: C’est très intéressant.

JÉRÔME: Oui, c’est très intéressant. Et vous avez quoi du voyou, vous ?
RAPHAËL: Je ne respecte pas beaucoup les règles non plus, mais par contre je suis un type, même si je suis un type bien élevé, il y a plein de règles que j’essaie de ne pas respecter.

JÉRÔME: Comme ?
RAPHAËL: Je ne sais pas, si je fais des choses interdites par la loi je ne vais pas le dire devant la télévision.

JÉRÔME: Pourquoi ?
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RAPHAËL: Parce que je vais me faire attraper et après on va m’envoyer en prison, je tiens à ma peau. Mais c’est même pas tellement ça. Oui, par exemple…

JÉRÔME: C’est ne pas vivre une vie ordinaire. C’est ça ?
RAPHAËL: Exactement.

JÉRÔME: Avoir peur de la vie ordinaire et ne pas la vivre.
RAPHAËL: Oui. Exactement.

JÉRÔME: C’est terrifiant hein. La vie ordinaire.
RAPHAËL: Oui. Ben la vie… je ne sais pas si elle est vraiment ordinaire, personne n’aime une vie ordinaire, mais oui, je crois que c’est intéressant de vivre les choses passionnément, après être… s’occuper de ses enfants passionnément ça peut être ordinaire mais ça peut être passionnant.

JÉRÔME: Mes enfants, ils vous adorent !
RAPHAËL: Ah oui ?

JÉRÔME: Oui. Mon fils, il a 10 ans, il joue vos chansons à la guitare. Magnifique.
RAPHAËL: C’est cool.

JÉRÔME: Ça fait pleurer un père.
RAPHAËL: Oui, ça fait plaisir.
La musique m’a libéré.

JÉRÔME: C’est fou hein. Même chose, vous parliez tout à l’heure d’une espèce de guide, de « j’ai trouvé un truc qui me plaît ». Et c’est marrant, c’est vous qui avez ouvert sa porte. Il a trouvé un truc qui lui plaît, qu’il a eu envie de reproduire. Il passe son temps à faire ça, il est heureux. Et effectivement, à part la musique, je ne vois pas d’autre…
RAPHAËL: La musique ça ouvre des portes facilement, alors que… le cinéma fait un peu ça mais le cinéma vous êtes toujours dans un personnage donc…

JÉRÔME: Oui et puis c’est plus difficile. Une guitare et une chambre, ça suffit.
RAPHAËL: Oui, pour créer vous voulez dire. Oui.

JÉRÔME: Vous, ça a changé en quoi l’homme que vous étiez et que vous êtes. Le fait de faire de la musique, d’avoir pris un jour une guitare en main.
RAPHAËL: Ça m’a libéré de plein de choses, ça m’a permis d’exprimer vachement de la tendresse, j’ai l’impression, aux gens, même en chantant des chansons d’autres, mais c’est une manière quand même… c’est comme un chant d’oiseau, surtout quand un gosse, moi j’ai commencé gosse, à peu près à l’âge de votre fils, à jouer, un petit gosse qui chante ça a un truc du chant d’oiseau qui est hyper émouvant, et on le sent même quand on est enfant, on gazouille, y’a un truc…même cette voix qui n’a pas encore mué, c’est hyper joli, des chansons que je ne pourrais plus jamais chanter évidemment mais qui étaient… Et puis ça m’a libéré avec les filles par exemple, avant j’étais très timide, c’était ça la vocation première, ce n’était pas de serrer les gonzesses mais c’était de dire quelque chose aux gens au-delà du langage parce que le langage était incapable de fonctionner dans certaines situations. C’est pour ça que c’est à peu près toujours la raison pour laquelle je fais de la musique. Et puis ça m’a libéré peut-être d’un poids des conventions, des regards. Surtout les adolescents, ils sont assez conformistes, ils ont toujours envie que tout le monde se ressemble, il y a une espèce de moule et la musique c’est une manière quand même de se marginaliser sans en souffrir. On en souffre toujours un peu, on laisse toujours un peu de peau, pour faire un beau truc il faut laisser un peu de peau.
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Le conformisme des adolescents.

JÉRÔME: Vous parlez du conformisme des ados, il y a une chanson dans laquelle vous y allez bien, dans votre dernier album, où vous dites « ce qui me fait chier en France, c’est notamment, le conformisme des enfants et la connerie de leurs parents », en gros.
RAPHAËL: Oui, je mélange plein de trucs, je fais une espèce de truc un peu Café du commerce. Oui je parlais du conformisme des ados, moi j’en ai souffert beaucoup quand j’étais au lycée, il fallait avoir l’uniforme, le truc, il fallait aimer tel groupe et pas tel autre, il y a ce truc vraiment… finalement les ados qui sont en rébellion ils ont un truc plus conformiste que personne, ce qui m’a toujours vachement étonné, à quel point ils ont ce truc de groupe, et cet esprit grégaire et moi j’en souffrais quand j’étais adolescent. Vachement.

JÉRÔME: D’être différent ?
RAPHAËL: Oui. Peut-être que je ne rentrais pas dans les codes. Mais ça ricanait tout le temps…

JÉRÔME: Ils ricanaient sur quoi ?
RAPHAËL: Sur tout. Sur le monde, c’était le monde vu par le ricanement. C’était un peu ça quand j’étais gosse. Peut-être que le monde a complètement changé.

JÉRÔME: J’ai des doutes.
RAPHAËL: Hein ?

JÉRÔME: J’ai des doutes.
RAPHAËL: Enfin, ça doit ricaner toujours mais je ne sais plus, maintenant, oui un gosse de 10 ans aujourd’hui et à nôtre âge c’était quand même…
Vous êtes Scorpion, vous ?
RAPHAËL: Oui. Exactement.

JÉRÔME: Moi aussi.
RAPHAËL: Ils sont sympas les scorpions.

JÉRÔME: Paraît-il.
RAPHAËL: Oui ils sont bien sympas. Les cancers sont sympas, les scorpions sont sympas. C’est ceux que je préfère.

JÉRÔME: Vous sentez quoi de Scorpion ? Dans les clichés ?
RAPHAËL: Il y a quelque chose de dangereux un petit peu toujours de pouvoir tout remettre en cause en une seconde, vraiment sur un coup de tête, de faire voler en éclats des choses, d’aller un peu vers ce qui est explosif, ce qui est dangereux, ce qui vous fait mal ou ce qui vous fait peur.

JÉRÔME: C’est marrant parce qu’en même temps vous avez l’air très timide, et en même temps dans la tête c’est plutôt la transgression, aller vers ce qui a de dangereux. C’est étonnant, c’est un paradoxe un peu.
RAPHAËL: Oui, est-ce que je suis timide ? Je ne pense pas que timide ce soit le mot. Je crois que je suis un peu réservé. Mais timide pas vraiment. Je l’étais maladivement quand j’étais jeune, et la musique m’a vachement soigné de ça. Je crois que je suis juste assez réservé quand je ne connais pas trop, ça passe parfois pour de l’arrogance ou pour du snobisme, le genre de choses que je déteste le plus au monde donc j’espère ne pas l’être, mais c’est juste un peu de la pudeur ou de la réserve.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
« Le patriote »

JÉRÔME: Dans cette chanson, qui s’appelle « Le patriote »…
RAPHAËL: Oui, une chanson potache.

JÉRÔME: Comment ?
RAPHAËL: La chanson un peu potache.

JÉRÔME: Elle n’est pas potache je trouve.
RAPHAËL: Elle fait un peu truc d’écolier, j’aime bien.

JÉRÔME: Oui c’est ça, je l’aime bien, et vous dites au début « si j’étais moins intelligent, si je n’avais pas ma carte de lâche, je leur mettrais bien mon pied dans les dents ».
RAPHAËL: Oui. C’est là que ça devient potache.

JÉRÔME: Oui et en même temps, voilà… pourquoi est-ce qu’on écrit la chanson plutôt que d’aller effectivement leur mettre notre poing dans la gueule s’ils font des choses qui ne nous plaisent pas ?
RAPHAËL: Parce que je suis lâche. Tout est dit. Je suis d’une lâcheté totale. Donc je n’irai jamais me battre avec quelqu’un et puis la violence physique n’est pas très intéressante comme moyen d’expression.

JÉRÔME: Non mais vous voyez ce que je veux dire par là.
RAPHAËL: Donc la question c’est quoi ? Pourquoi on fait une chanson plutôt que…

JÉRÔME: Oui pourquoi on fait une chanson plutôt qu’un acte ? Qu’un acte plus solide. Ou alors la chanson suffit à elle-même.
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Renaud.
RAPHAËL: Disons que c’est une chanson, je pense ce qui est dit dans cette chanson, je serais très lâche si je disais que je n’assume pas ce qui est écrit dans la chanson mais l’essentiel, l’idée de départ c’était de faire un vrai hommage à Renaud qui a compté énormément pour moi quand j’étais gosse…

JÉRÔME: «Hexagone ».
RAPHAËL: « Hexagone » et même en règle général son petit personnage justement de mec, de poète des voyous, la rue Pierre Charron, « Les charognards » je crois qu’elle s’appelle cette chanson, et puis un peu du mec qui parle pour ceux qui n’ont rien, un peu anar et un peu tendre, un peu drôle en même temps et un peu mauvaise foi, tout marche là-dedans, j’adorais ce qu’il représentait, je trouve que c’était une voix de la France importante, c’était pas que de la chanson, ça m’apportait énormément, et à beaucoup de gens, toujours hein, donc c’était plutôt un hommage à ce chanteur et à cette période où il y avait Dutronc, « Merde in France », et Gainsbourg avec sa Marseillaise, il y avait l’émission de Polak où les mecs se mettaient des tartes dans la gueule une fois sur deux pour rien, « le Pacifique est plus grand que l’Atlantique – Non espèce d’enculé, c’est l’Atlantique » et ça partait, c’était marrant, ça sortait du cadre tout le temps. Donc c’était un peu avant que le monde soit… tout fasse marcher le business et qu’on doive être tout le temps le doigt sur la couture, ça pouvait déconner un peu. Et oui pareil avec le patriotisme, cette notion où là aujourd’hui il faut être très sérieux, il faut chanter, il faut mettre la main sur le coeur, il ne faut pas mettre le casque quand tu descends d’un entrainement, enfin je parle là du football mais je peux parler d’un million de choses…
Je rêverais de pouvoir ne dire que des conneries.

JÉRÔME: Oui, parce que vous aussi vous êtes…
RAPHAËL: Je trouve que tout est devenu assez moraliste.

JÉRÔME: Dans le correct. Vous avez vendu 2 millions de disques, vous devez être dans le correct !
RAPHAËL: Oui. Voilà. Quand je parlais de Depardieu tout à l’heure, ou de Brel, c’est des gens qui n’étaient pas dans le correct quoi. Depardieu il fait de temps en temps des interviews en Autriche, il dérape grave.

JÉRÔME: Oui, j’ai vu, sur Juliette Binoche ! Ça vous plait ça !
RAPHAËL: J’adore ! J’adore ! Je ne parle pas de Binoche en particulier, j’adore Binoche, mais j’adore juste le fait dire des conneries. C’est formidable.

JÉRÔME: Pourquoi vous ne le faites pas ?
RAPHAËL: Parce que il y a un cap à passer. Une fois la tête passée, le reste suit, mais au début quand on commence à dire des conneries, on s’en prend vraiment plein la gueule.

JÉRÔME: Vous avez essayé ?
RAPHAËL: J’ai essayé il y a quelques années…

JÉRÔME: Vous avez dit quoi comme conneries ?
RAPHAËL: Oh je ne sais pas, je déconnais un peu, je ne vais pas les ressortir parce que ça ne sert à rien, mais je déconnais un peu et hop, pendant 2 ans on ne me parlait que de ça. Il n’y avait plus moyen de parler musique. Alors quand on est Depardieu, il y a un moment où on peut se permettre de dire des conneries je crois mais au début quand on dit des conneries, ça passe pour de l’arrogance, ça passe pour… il faut être un peu familier je pense, mais dès qu’on est familier, moi je rêverais de pouvoir ne dire que des conneries. Tout et l’inverse de tout et s’amuser un peu.

JÉRÔME: Mais c’est vrai, vous le disiez tout à l’heure, chez Polak, à la télévision, ça gueulait, ça se mettait des tartes, ce n’est plus du tout imaginable.
RAPHAËL: Non, il y avait des mecs qui dégobillaient, il y avait des types qui arrivaient…

JÉRÔME: Bukowski, un de vos auteurs préférés se faisait virer de chez Pivot.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
RAPHAËL: Il s’était fait virer oui. Bukowski pouvait être violent de temps en temps, il mettait des tartes à des gonzesses, ce n’était pas ce qu’il faisait de mieux.

JÉRÔME: Ce qui ne vous empêche pas de l’aimer.
RAPHAËL: Ce qui n’empêche pas de l’aimer mais c’est une manière d’aimer que j’aimerais mieux éviter. Mais… Oui, il y a un documentaire sur Bukowski où, oui il était punk, c’est un gros punk. Oui, il se passait des choses un peu plus marrantes. Cette chanson elle parle un peu de ça aussi.
« Pacific 231 ».

JÉRÔME: C’est « Pacifique » combien votre album ?
RAPHAËL: 231, cher ami.

JÉRÔME: 231.
RAPHAËL: Nous y sommes bientôt. « Pacific 231 ».

JÉRÔME: C’est une locomotive ou pas ?
RAPHAËL: Oui. C’est un vieux modèle, un modèle un peu mythique de locomotive, je voulais un titre un peu… qui ressemble à un film de science-fiction, vous voyez, comme « Farenheit »…

JÉRÔME: Comme « Alligator 427 » de Thiéfaine.
RAPHAËL: Ah je ne connais pas. Non. Comme ?

JÉRÔME: « Alligator 427 ».
RAPHAËL: « Alligator 427 » bon ben voilà, c’est exactement ça. Moi je pensais à « Farenheit » je ne sais plus combien, 451 je crois, de Bradbury, ou le film de Truffaut, je crois que Truffaut en a fait un film, ou il y avait un autre truc de Georges Lucas, ce genre de chose, puis ça faisait aussi adresse à Malibu, ça évoquait plein de choses, j’aimais bien.

JÉRÔME: Donc il y a qui n’a pas eu peur de la vitesse des locomotives, c’est ça ?
RAPHAËL: Oui, c’est beau ça hein.

JÉRÔME: Oui.
RAPHAËL: C’est Dick Annegarn qui a écrit ça, qui a fait ce texte. Il y a deux trucs qui ne sont pas de moi, un texte de Dick Annegarn et un autre de Manset. « Le manteau jaune » c’est de Manset et « Qui n’a pas eu peur de la vitesse des locomotives »…

JÉRÔME: Très beau.
RAPHAËL: « Qui n’a pas eu peur à la vue d’une lame à la vue d’une lance », c’est pas mal.

JÉRÔME: C’est beau !
RAPHAËL: Oui. Moi je vois une lame à la tête d’une lance, j’ai peur, je confirme.

JÉRÔME: En fait, c’est très bien de faire écrire des chansons parce qu’alors on peut dire qu’elles sont bien.
RAPHAËL: Oui, elles sont vraiment bien.
La lecture.

JÉRÔME: On parlait de Bowie tout à l’heure, vous disiez que ça a été un guide, on a l’impression que la lecture aussi chez vous ça a été quelque chose de très important.
RAPHAËL: Oui, ça l’est toujours.

JÉRÔME: Il y a eu qui ? Ça a été quoi les balises ?
RAPHAËL: Les premiers trucs qui m’ont vraiment marqué, c’est Garcia Marques je crois, « 100 ans de solitude » qui m’a vraiment, je me suis dit wouaw comment est-ce qu’on peut écrire comme ça ? Cette pensée magique et un truc vraiment physique, déconneur, l’écriture de la joie quand même. Pareil, rien n’est grave, les types meurent, on les fusille, ils meurent, on les fusille, ils reviennent en fantômes…

JÉRÔME: Il y a une génération après.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
RAPHAËL: Exactement, j’adore ce genre d’écriture. Et après il y a eu les Bukowski, tous les Américains qui ont écrit avec un truc à l’estomac, avec un coeur incroyable, et après il y a eu Céline, le mec plus sérieux là…

JÉRÔME: C’est moins l’écriture de la joie.
RAPHAËL: Oui c’est moins l’écriture de la joie mais… Je ne sais plus qui, je crois que c’est Bukowski, non, c’était Kerouac et Burrows qui avaient interviewé Céline qu’ils devaient mépriser profondément mais c’est quand même un style très important pour la chanson. Chez Jacques Brel il y a quelque chose de Céline dans cette manière de mettre le langage parlé…

JÉRÔME: Et de dépeindre les gens par le trou de la serrure.
RAPHAËL: Carrément. Exactement. Et puis mettre des expressions populaires dans un truc… dans la grande culture, comme ça, et puis aujourd’hui, je ne sais pas, aujourd’hui je lis Kafka, j’aime vraiment bien Kafka, et je lis…

JÉRÔME: Chuck Palahniuk.
RAPHAËL: Non, ça fait très longtemps que je n’ai pas lu Chuck Palahniuk. Je lis, comment il s’appelle… qu’est-ce que j’ai lu récemment ? Je viens de finir un livre qui m’a vachement plu…

JÉRÔME: Eric-Emmanuel Schmitt.
RAPHAËL: Non un livre de Pierre Goldman, « Souvenirs d’un Juif polonais né en France ». Ça m’a vachement plu. Très beau livre. Et…

JÉRÔME: Et ils vous ont appris quoi les Burroughs, Kerouac, Bukowski ?
RAPHAËL: Burrows, Kerouac, Bukowski ?

JÉRÔME: Sur la route quoi. RAPHAËL: C’était tous des défoncés, les 3 que tu cites. C’était vraiment des gros défoncés. Je pense que celui dont je pourrais être le plus proche humainement ce serait évidemment Kerouac, parce que Burrows c’était un monstre, Burrows il impressionnait tout le monde, il faisait peur à tout le monde, il vivait avec ses 200 flingues, il était extrêmement froid, distingué, aristo…

JÉRÔME: Mais Kerouac, ce côté justement sur la route que vous avez chanté…
RAPHAËL: Il y a une tendresse chez Kerouac, oui, Bukowski c’était une brute quand même tu vois, il a un passé différent. Le mec il a une acné intolérable de 15 à 20 ans et ça a vachement modifié sa perception de la vie. Il était tellement monstrueux avec son truc que bon il a détesté la terre entière…pendant…

JÉRÔME: Il était méchant.
RAPHAËL: Pendant longtemps oui. Et ensuite il a eu une vie pourrie, il se battait dans les bars tout le temps, puis il a eu des hémorroïdes du matin au soir…

JÉRÔME: Il n’a pas eu une vie normale.
Penser en artiste et vivre en bourgeois.
RAPHAËL: Non, il n’a pas eu une vie normale du tout. Moi j’aime mieux un peu penser en artiste et vivre en bourgeois, un peu plus que Bukowski. Je crois que c’était plus… Sacha Guitry, ça sonne comme du Sacha Guitry ça.

JÉRÔME: C’est pas mal.
RAPHAËL: Il vaut mieux penser en artiste et vivre en bourgeois que l’inverse. Non ?

JÉRÔME: Oui, il vaut mieux.
RAPHAËL: Tout le monde sera d’accord avec ça.

JÉRÔME: Vous vous seriez fait lancer des pierres dans les années 60, dans les années 50, par les mecs qui disaient mais non il faut vivre jusqu’au bout, parce que l’artiste bourgeois, c’est quand même nouveau.
RAPHAËL: Sacha Guitry il pensait ça mais Sacha Guitry était dans son hôtel particulier avenue Bosquet, cool.

JÉRÔME: Est-ce qu’on peut être artiste justement la journée et bourgeois le soir ?
RAPHAËL: Ben oui, parce que la transgression, enfin je ne vois pas tellement… je pense qu’il faut… oui, je ne vois pas le rapport entre la bourgeoisie… être bourgeois, être prolétaire et être artiste. C’est juste, une pensée bourgeoisie c’est un peu synonyme d’une pensée étriquée, c’est ça que ça voulait dire ?
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël

JÉRÔME: Peut-être, oui. Et d’un mode de vie.
RAPHAËL: Et d’un mode de vie étriqué. C’est vrai que les conventions bourgeoises, en règle générale, c’est assez lamentable, c’est assez navrant, mais bon la plupart des bourgeois, c’est un mot qui ne veut plus rien dire d’ailleurs, mais la plupart des bourgeois ne vit pas comme ça. Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas bourgeois qui vivent d’une manière étriquée et qui ont une pensée étriquée aussi.
La musique mais pas que…

JÉRÔME: Elle vous amène quoi cette musique aujourd’hui ? Parce qu’après un album vous refaites toujours un autre album alors que vous pourriez aussi devenir plombier, et pourquoi on continue, sans cesse ?
RAPHAËL: Il faut bien s’occuper et puis c’est quand même une manière assez sympathique de gagner sa vie, les gens vous aiment bien, vous leur parlez, vous dites quelque chose, du reportage, vous parlez vous, par eux, moi de temps en temps je vois un mec qui me parle de « 150 ans », c’est une chanson de « caravane », beaucoup de gens m’en parlent encore, ça a été important dans des périodes parfois très douloureuses de leur vie, enfin des trucs très émouvants qui remontent des années après, et je trouve ça vraiment très valorisant de pouvoir être dans le coeur des gens, ça n’a pas de prix, d’arriver parfois…

JÉRÔME: Ça vous touche ça ?
RAPHAËL: Oui, beaucoup. Pouvoir vraiment toucher le coeur des gens, enfin, ça ne veut rien dire, mais c’est quand même pas rien. Ça me touche beaucoup. Et puis, oui, moi j’adore faire d’autre chose, j’ai joué un peu dans un film…

JÉRÔME: Dans un Claude Lelouch !
RAPHAËL: Dans un Claude Lelouch.

JÉRÔME: C’est pas rien.
RAPHAËL: C’est pas rien !

JÉRÔME: C’est un peu la frime.
RAPHAËL: L’aventure c’est l’aventure, c’est un peu la frime. Et je vais essayer de jouer dans une pièce de théâtre cet hiver, j’espère que ça va marcher.

JÉRÔME: Ah oui ?
RAPHAËL: Oui. J’aimerais bien essayer d’autres trucs. Je peins beaucoup, je dessine beaucoup, j’adore ça, j’essaie de faire plein d’autres trucs, mais c’est vrai que la musique pour l’instant c’est le truc que je connais depuis plus longtemps. Pour arriver à faire quelque chose de bien il faut le faire pendant très longtemps. C’est comme ces peintres qu’on voit, ils mettent toujours 10 ans, 15 ans avant d’arriver à faire quelque chose qui tient la route. Et la musique, depuis que je suis petit j’en fais, peut-être que j’arrive à maîtriser certaines choses et à libérer certaines choses que je n’arrive pas encore à faire dans d’autres…

JÉRÔME: Et pourquoi vous êtes attiré par le cinéma et le théâtre ?
RAPHAËL: Parce que je trouve ça bien de s’exprimer d’autres manières que dans la musique. C’est ce que vous dites, tu fais un disque tous les 2 ans, une tournée tous les ans, tu peux lasser les gens et puis te lasser toi-même donc c’est quand même bien d’essayer… puis tout ce qu’on fait pour la première fois c’est génial, de découvrir, le cinéma c’est une électricité que je retrouve comme quand je faisais mon premier concert il y a 10 ans, c’était vraiment excitant. Le théâtre je me demande bien ce que ça va être la veille de la première, de me demander ce que je fais là-dedans, mais c’est quand même attirant de sortir de ce qu’on sait faire.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
Vous connaissez l’Archiduc hein ?
RAPHAËL: Oui. Le repère d’Arno. JÉRÔME: Oui.
RAPHAËL: Il va souvent là. On passe souvent du bon jazz là-bas.

JÉRÔME: Je sais que vous passez de temps en temps là.
RAPHAËL: Oui. J’adore cet endroit.

JÉRÔME: C’est génial hein.
RAPHAËL: Oui c’est magnifique, j’adore.

JÉRÔME: Est-ce que vous n’avez pas joué au mois de juin à l’Archiduc ?
RAPHAËL: Non.

JÉRÔME: Avec…
RAPHAËL: Non, pas du tout.

JÉRÔME: Avec Chedid.
RAPHAËL: M ? Ou le père ?

JÉRÔME: Non avec le fils. Avec Mathieu.
RAPHAËL: Non.

JÉRÔME: J’avais entendu que…
RAPHAËL: Non. Mais lui il a dû jouer.

JÉRÔME: Il faut venir jouer là.
RAPHAËL: Oui, j’adore l’Archiduc.

JÉRÔME: Il y a plein d’artistes qui font ça maintenant, c’est assez chouette.
RAPHAËL: Oui j’adorerais. Oui, ça me manque ça en plus, ce truc de bar à Paris, dans les bars…

JÉRÔME: Il n’y a pas longtemps, il y a Damien Rice qui est venu, c’était dément. Il a sorti sa guitare… c’était magnifique.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
John Frusciante.
RAPHAËL: Oui, les mecs qui arrivent à faire ça, John Frusciante, le guitariste des Red Hot, il fait ça. Joseph Arthur, il fait ça très bien. C’est très beau.

JÉRÔME: John Frusciante il va même plus loin, je pense que tellement il s’emmerde, vous parliez tout à l’heure qu’il faut combler les vides, il apprend même aux internautes, avec la petite webcam de son ordinateur, à jouer ses chansons.
RAPHAËL: Non !

JÉRÔME: Oui, il faut regarder sur Youtube, John Frusciante guitare, et il est devant sa webcam, on voit qu’il l’allume et il explique comment jouer « Under the bridge », puis il fait ok, puis il le joue lentement pour expliquer aux gens, il passe son temps à faire ça. C’est assez dément.
RAPHAËL: Moi je trouve que c’est un génie absolu ce mec. Il a vraiment un truc de… il a fait 5, 6 disques solos, il y en a un qui s’appelle « Curtains », avec mon accent, excusez-moi, « les rideaux »…

JÉRÔME: « Curtains ».
RAPHAËL: « Curtains », c’est une splendeur, il y a un abandon qu’il n’y a chez personne d’autre. Je ne sais pas si c’est la poudre qui le met dans cet état-là, mais…

JÉRÔME: Un garçon qui a été loin aussi sur le chemin de la perdition. C’est dingue comme c’est, enfin ça reste ce côté romantique du génie solitaire, seul dans sa chambre d’hôtel. Frusciante c’est ça quoi. Vous je sais bien que vous aimez bien Rimbaud.
RAPHAËL: Oui j’adore Rimbaud.

JÉRÔME: Il y a quelque chose de ça.
RAPHAËL: Oui, Frusciante, oui il y a quelque chose de, non surtout ses disques sont tellement beaux ! Il y a cet abandon chez ces quelques mecs, même Pete Doherty, son dernier disque il y a cet abandon-là aussi. Je ne sais plus comment il s’appelle mais c’est très beau. Il y a cette vois un peu du junky, il n’a pas la même voix John Frusciante mais je trouve que John Frusciante il y a un truc, il y a une aventure qui est rare, qui n’est pas que le truc du junky dans sa chambre…

JÉRÔME: Il n’y a pas d’enjeu.
RAPHAËL: Oui c’est ça, il n’y a pas d’enjeu, exactement. Il n’y a pas de compet. Il y a juste leur truc…

JÉRÔME: Pourquoi vous ne faites pas de la musique sans enjeu ?
RAPHAËL: Mais je le fais, sur mon disque, c’est une musique sans enjeu.

JÉRÔME: Et comment on fait pour en arriver là ? Ça n’a pas toujours été le cas. A un moment, quand vous faites votre 2ème album où il y a « Sur la route », « Compagnons », etc… si vous voulez continuer il n’y a rien à faire, il faut que vous passiez à la radio, continuer à vendre des disques, on est quand même dans une situation étrange.
RAPHAËL: Frusciante il fait les Red Hot, il fait des trucs comme ça. C’est digne hein, c’est pas de la merde. Mais ce qu’il laisse il va les chercher ailleurs ou peut-être, est-ce que je me suis servi moi de ça comme un tremplin pour pouvoir faire ce que j’ai envie de faire, oui et non. En même temps au moment où je l’ai fait, il n’y avait aucun calcul et j’étais très heureux de le faire et je ne regrettais rien sur ces disques et je ne regrette toujours rien sur ces disques. C’est vrai qu’aujourd’hui ça ne m’intéresserait pas de refaire « caravane » ou ce genre de chose, mais en même temps si je fais, je ne sais pas, deux disques sans enjeu comme tu dis, et que je n’en vend pas du tout et que je me dis bon il y a 2000 mecs à Paris qui aiment bien mon album mais j’ai envie quand même de parler plus pour le peuple, avoir un truc plus populaire, peut-être que je reviendrais à quelque chose de plus narratif, enfin c’est pas narratif mais…

JÉRÔME: Classique.
RAPHAËL: Plus simple.

JÉRÔME: Oui, plus simple.
RAPHAËL: C’est fort aussi d’être simple.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
Ça fait quoi quand on vend 2 millions d’exemplaires de son album ?
RAPHAËL: 1,5 millions oui.

JÉRÔME: Oui, c’est énorme.
RAPHAËL: Oui, c’est énorme.

JÉRÔME: On comprend ? On essaie de comprendre ?
RAPHAËL: Oui. Ça ne m’est pas arrivé sur mon premier album, c’était vraiment mon 3ème disque, ça faisait longtemps que je faisais de la musique, j’avais presque 30 ans, j’avais 29 ans, 30 ans même, 30 ans complètement, donc c’était, je savais qu’il y avait d’autres mecs qui passaient, que tous les ans il y a un mec qui vend 1 million de disques, c’est comme ça, parfois il fait des trucs bien, parfois c’est pas terrible, peu importe, je n’étais pas dupe d’une certaine manière, que j’avais la bonne gueule au bon moment. J’aimais le disque et j’ai adoré le retour que j’ai eu des gens, mais je ne m’étais pas dit que ma musique était faite pour faire ça à chaque album. Je ne pense pas. Mais j’adore avoir du succès, mais j’adore avant tout être libre. Faire ce que j’ai envie de faire. Après, quand ça marche, ça marche, et quand ça ne marche pas, c’est dommage mais je suis obligé de… la liberté c’est ce que les gens aiment le plus chez les artistes je pense.

JÉRÔME: Oh oui. Ben oui parce que c’est ce que… c’est ce que nous n’avons pas nécessairement le courage d’expérimenter.
RAPHAËL: Enfin, ou différemment. Oui.

JÉRÔME: Ou différemment mais… c’est ce qu’on attend d’un artiste en tout cas, qu’il nous montre qu’il est plus libre que nous. Oui, je trouve un peu.
RAPHAËL: Moi aussi, je suis d’accord. On en revient aux voyous.

JÉRÔME: Comment ?
RAPHAËL: On en revient aux voyous. C’est un peu ça.

JÉRÔME: Un peu ça oui. Celui qui ose vivre la vie que moi je n’ai pas osé vivre.
RAPHAËL: Sauf que le voyou il paie un prix quand même très élevé. Il se fait 20 ans de Centrale et à propos de liberté…

JÉRÔME: Oui, c’est sûr.
RAPHAËL: Après il peut en parler de la liberté.

JÉRÔME: Après il y a une question de morale, bien sûr, ça n’a rien à voir.
RAPHAËL: Bien sûr.
La course ou une chanson !

JÉRÔME: Bon, soit vous payez la course, vous en êtes déjà à 68 euros, soit vous jouez de la guitare. C’est la règle dans cette émission.
RAPHAËL: J’ai l’argent… Je crois que j’ai l’argent. Je peux faire les deux en plus.

JÉRÔME: Ça m’arrange.
RAPHAËL: Payer et jouer.

JÉRÔME: Payer et jouer ?
RAPHAËL: Oui.

JÉRÔME: Je vais être le seul mec qui a eu un concert de Raphaël et c’est lui qui a payé. C’est pas mal.
RAPHAËL: C’est pas mal. Vous voulez que je vous joue quoi comme chanson.

JÉRÔME: Ce que vous voulez. Je choisis pour mon fils. « Caravane ».
RAPHAËL: Pas de problème.

JÉRÔME: C’est quoi votre chanson préférée de votre nouvel album ? Celle où vous dites : là j’ai touché quelque chose.
RAPHAËL: Je les aime toutes bien, vraiment c’est difficile, je les aime toutes. Je ne sais pas. Pour vous c’est quoi ?
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël

JÉRÔME: Comment ?
RAPHAËL: Vous c’est quoi celle que vous préférez ?

JÉRÔME: Je suis assez touché par « Le bar de l’hôtel ».
RAPHAËL: D’accord. Vous voulez que je vous en face une petite minute ?

JÉRÔME: Ah oui !
Bruxelles.
RAPHAËL: C’est bien avec la sirène hein. Impeccable. J’adore cette ville, vraiment. Je trouve que les gens sont plus cool que dans aucune autre ville au monde.

JÉRÔME: C’est une petite capitale hein.
RAPHAËL: Oui.

JÉRÔME: C’est assez pratique, ça aide.
RAPHAËL: Les gens ont un éclat de folie qu’il y a dans peu de villes, ils sont tous un peu dingues ici.

JÉRÔME: C’est le côté belge ça.
RAPHAËL: Oui, c’est vrai, ils sont tous un peu dadaïstes, personne n’est trop sérieux.

JÉRÔME: On est tout petit. A côté de chez nous il y a plus sérieux et plus fort. Donc il nous reste quoi comme possibilité ? Et puis c’est marrant, parce que vous parliez tout à l’heure des guides, de Bowie, nous c’est Léon Spilliaert, c’est Brel, c’est…
RAPHAËL: Ensor un peu.

JÉRÔME: C’est Magritte.
RAPHAËL: Ensor il est important ici hein ?

JÉRÔME: Ensor bien sûr. Et regardez, il n’y en n’a pas un qui est normal. C’est quand même des personnalités gigantesques, dantesques… C’est un peu notre modèle.
RAPHAËL: C’est des déconneurs. Déconneur génial. Foultrack un peu.

JÉRÔME: Oui. Et puis on ne peut rien produire nous les Belges. Enfin on ne peut rien produire… Mais on n’a pas, en cinéma par exemple, l’argent de nos voisins. Donc il faut trouver des solutions pour faire les choses autrement. Et il y en a eu. Il y a eu « C’est arrivé près de chez vous », vous connaissez j’imagine.
RAPHAËL: Bouli Lanners, « Eldorado ».

JÉRÔME: Ou “Eldorado”. On trouve des solutions pour faire des choses qui sont fortes mais avec d’autres ficelles, voire des bouts de ficelle. Peut-être que c’est ça la Belgique. On se pose beaucoup de questions sur ce que c’est la Belgique pour le moment.
RAPHAËL: Mais il y a une tendresse aussi des gens, il y a un truc, ils ne jugent pas trop, il y a vraiment un truc de, jamais snob j’ai l’impression, enfin ça doit exister, il doit y en avoir mais ils ne sont pas nombreux. Il y a quelque chose de très fraternel. Puis les gonzesses sont jolies, c’est pas mal hein.

JÉRÔME: Pourquoi vous croyez qu’on habite à Bruxelles ! Pourquoi on n’habite pas Paris ! Vous, vous êtes parisien ?
RAPHAËL: Oui.

JÉRÔME: Né à Paris.
RAPHAËL: Oui.
Les origines.

JÉRÔME: Votre mère elle est argentine.
RAPHAËL: Oui. Ma mère est argentine. Née à Buenos Aires.

JÉRÔME: Vous y êtes allé ?
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Raphaël
RAPHAËL: Oui j’y suis allé. C’est super, c’est beau. C’est une belle ville, mais j’y ai été que deux fois. Je ne connais pas bien.

JÉRÔME: Et votre père est mi-marocain, mi-russe.
RAPHAËL: Oui voilà, mon père est né au Maroc, à Casablanca, d’un père marocain et d’une mère russe ukrainienne. Odessa. Odessa sur la Mer Noire. En face d’Istanbul en fait. Aujourd’hui c’est l’Ukraine mais ils ont une culture russe.

JÉRÔME: Vous avez quoi de slave vous ?
RAPHAËL: Beaucoup de slave, parce que même les Argentins viennent d’Europe de l’Est en fait. Les Argentins c’est ou des Indiens, et ce n’est pas des Indiens du côté de ma mère ou des migrants d’Europe de l’Est, de Pologne…

JÉRÔME: Et vous avez quoi de l’âme slave ?
RAPHAËL: Le mélange un peu du rire et des larmes, ça me plait bien. Et puis j’aime bien chanter le soir, j’aime bien picoler, j’aime bien la vodka.

JÉRÔME: Vous avez vu « Little Odessa » ?
RAPHAËL: Oui je crois, avec Edward Furlong, c’est ça ?

JÉRÔME: Oui.
RAPHAËL: Il était incroyable cet acteur, il a disparu un peu mais il avait une gueule magnifique.

JÉRÔME: Il a disparu de la circulation. Il a fait « Terminator », et puis on ne l’a plus vu.
RAPHAËL: 2, 3 autres trucs, « Animal Factory », il a fait 2, 3 autres trucs pas mal…
RAPHAËL: Vous avez peur vous de disparaître ?
RAPHAËL: Je n’aimerais mieux pas disparaître…

JÉRÔME: Est-ce qu’on se pose la question ?
RAPHAËL: Oui, bien sûr. Parce que le mec avait du talent, il avait un truc un peu Di Caprio, il avait un peu ce talent-là, cette gueule et ce talent-là.

JÉRÔME: Ça pouvait être lui, oui.
RAPHAËL: Mais il va revenir, je suis sûr qu’il va revenir.
La Petite Cantate de Barbara.

JÉRÔME: Vous pouvez regarder là et prendre des petits trucs jaunes.
RAPHAËL: Il y a des petits mots dedans ?

JÉRÔME: Oui.
RAPHAËL: C’est comme des Kinder.

JÉRÔME: C’est comme des Kinder. Je ne sais pas ce qu’il y a dedans.
RAPHAËL: Alors ça c’est les paroles de la cantate « Oh mon amie, oh ma douce, ma si petite à moi, mon Dieu qu’elle est difficile cette cantate sans toi ». Je répète : « Oh mon amie, oh ma douce, ma si petite à moi, mon Dieu qu’elle est difficile cette cantate sans toi ».

JÉRÔME: C’est quoi ?
RAPHAËL: C’est les paroles de La Petite Cantate de Barbara. C’est une magnifique chanson. C’est une chanson assez bouleversante. Je crois qu’elle l’a écrite pour sa prof de piano. On m’a raconté ça, je n’en suis pas sûr. C’est une chanson un peu pour, une chanson de spectre, pour un disparu. Ça se sent. « Les notes courraient faciles, heureuses au bout de tes doigts. Moi j’étais là, malhabile ». C’est vraiment un truc d’abandon, c’est terrible cette chanson. C’est une toute petite musique nocturne d’hiver, de froid.

JÉRÔME: C’est une chanson de votre enfance ?
RAPHAËL: Oui, c’est une chanson que ma mère me chantait, quand elle était petite, enfin, que ma mère me chantait en me disant que ça lui faisait penser à sa mère qui était morte sur une route en Argentine quand elle avait 4 ans. Donc moi petit enfant on me chantait ça comme si c’était une chanson qui était une chanson de séparation. Aujourd’hui j’ai du mal à l’entendre sans avoir les larmes aux yeux. Je la trouve extrêmement belle.
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Woody Allen.

JÉRÔME: Une autre boule.
RAPHAËL: Une autre boule. Tout est dans la boule.

JÉRÔME: Tout est dans la boule.
RAPHAËL: (RIRES) C’est une phrase de Woody Allen. Il dit « Quand j’ai été kidnappé, mes parents ont tout de suite agi, ils ont loué ma chambre ». C’est formidable !

JÉRÔME: Vous êtes client ?
RAPHAËL: Oh grave, plus que client. C’est une coupe de champagne. C’est ce qui vous réconcilie avec l’existence, Woody Allen. Même ses livres. Ces trucs, ses livres de potache pour en finir une fois pour toute avec la culture, plein de trucs comme ça, j’adore.

JÉRÔME: « La dernière femme que j’ai pénétrée, c’est la Statue de la Liberté ».
RAPHAËL: Non mais tout. Il y a un truc qui me plaisait bien, c’est «Ce qu’il y a de bien avec la mort c’est que ça met un terme à toutes vos dépenses ». Ce genre de truc. Il y a un truc, parfois kafkaïen, parfois… ça c’est désopilant. C’est génial. Pieds Nickelés et tout. C’est mon héros quoi.

JÉRÔME: Ah oui ?
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« The Dude » dans « The Big Lebowski », mon modèle.
RAPHAËL: Plus ou moins mon héros, lui et le « Dude » de « The Big Lebowski ». Si je devais avoir un modèle dans la vie c’est ce mec-là.

JÉRÔME: « Do you have a cash machine? ».
RAPHAËL: Do you have a cash machine?

JÉRÔME: Ah oui, c’est vrai ? Ce serait votre héros, le « Dude » de « The Big Lebowski » ? Donc le mec qui fume des pétards, qui ne fout rien.
RAPHAËL: Oui.

JÉRÔME: Un looser total.
RAPHAËL: Oui, sublime looser. Le mec qui mène cette vie-là pour… oui, nous. J’adorerais avoir un pote comme ça. Je vivrais avec ce mec. Il vivrait chez moi. Le mec vodka, kahlua, en peignoir, qui bouffe des glaçons toute la journée. Super cool. Il ne s’agit que de ça. C’est vraiment mon maître à penser. Mon modèle. The Dude … Je le connais par coeur, je fais partie de ces gens qui peuvent réciter les dialogues de ce film pendant toute une journée.

JÉRÔME: C’est merveilleux. Ah oui, les frères Coen c’est très important parce que vous parliez de « Barton Fink » tout à l’heure et puis « The Big Lebowski ».
RAPHAËL: Oui, très important, j’adore.

JÉRÔME: Mais alors pourquoi vous êtes un surexcité, vous êtes un réservé mais en même temps vous bossez, vous tournez, vous avez une vie occupée, et votre exemple c’est un type qui ne fout rien.
RAPHAËL: Oui, c’est ça, c’est ce mec, je crois que c’est ce qu’ils disent dans le film au début, c’est que c’est vraiment un mec qui ne fout rien pour le reste du monde, ça fait du bien d’avoir un mec comme ça, un mec qui est sous le bar toute la journée et qui… finalement qui a je pense profondément raison. Peut-être qu’il échoue un peu dans ses relations sentimentales avec les gonzesses, il n’a pas l’air d’être au top du top mais, sans enjeu, c’est ce dont on parlait, c’est là que des bonnes choses peuvent arriver. Sans enjeu.

JÉRÔME: Vous croyez qu’avec l’âge on se débarrasse de ça ? Parce que nous on a 35 ans donc on n’est pas encore prêts je pense, mais se débarrasser de tous les enjeux, lâcher prise.
RAPHAËL: Oui j’espère. J’espère. Il faut abandonner tout ça. Il faut abandonner la culpabilité, abandonner ce genre de chose. Mais je vois, par exemple Lelouch il sort son film dans 10 jours, il est anxieux comme un enfant, c’est-à-dire que, c’est quand même important que vos films soient vus, que vous disques soient écoutées, d’avoir du succès, que ça vive. Je sens qu’il a encore cette inquiétude-là. Je ne sais pas si Renaix a encore cette inquiétude-là, je ne le connais pas. J’imagine que moins.

JÉRÔME: Ah mon avis moins.
RAPHAËL: J’imagine que moins. J’imagine qu’il doit plus planer.

JÉRÔME: The Dude. Excellent. Très bien. Vous me donnez une bonne idée, de le revoir.
RAPHAËL: Ah oui.

JÉRÔME: Je vous remercie.
RAPHAËL: Merci beaucoup. Maître à penser : « the Dude ».

JÉRÔME: Vous êtes à votre hôtel. Oui, je n’y avais pas pensé.
RAPHAËL: Lui et Homer Simpson, pour la manière dont on élève son enfant. Non ?

JÉRÔME: C’est pas mal !
RAPHAËL: Pas mal hein ! Merci.

JÉRÔME: Au revoir