Entrevue avec Raphael

Un minet mignon qui a de la moelle dans le poêlon

Raphaël s’amène au Québec, à Montréal pour deux spectacles à La Tulipe les 21 et 23 février, à Québec le 22 février au Grand Théâtre. C’est un événement. Mais si. C’est pas rien, Raphaël. On le sait encore peu ici, mais on le saura. Sachez déjà que Raphaël, en Europe francophone, c’est immense. Méga-gros: le triomphe aux dernières Victoires de la musique, un million d’exemplaires écoulés de Caravane, son dernier disque en studio (il y a eu un live depuis, Résistance à la nuit). Méga, vous dis-je. Les foules hurlent dans les stades (j’en témoigne: délire à Spa) et les critiques applaudissent dans leurs journaux (j’en suis). Un cas, quoi. Idole pour midinettes et auteur-compositeur-interprète respecté. En même temps, c’est rare. Beau gosse, bonnes chansons. Un minet au minois mignon, avec de la moelle dans le poêlon.

Il arrive ce vendredi. S’offre le week-end à Sacacomie. Comme de bien entendu: depuis la fameuse émission tournée à l’auberge de bois rond de la Mauricie, où les Hallyday, Renaud et consorts se payèrent les sports d’hiver à l’invitation d’Isabelle Boulay, ç’a fait… boule de neige.

«Il paraît que c’est merveilleux. Je vais passer deux jours là-bas, je suis ravi.»

Ça tombe bien, lui dis-je: justement, ça tombe. C’est tempête de neige ici, on va être ensevelis. (On est mercredi matin au moment de l’entrevue.) À l’autre bout du fil, flocon d’inquiétude. «Oh la la! Il va neiger longtemps?» Je le rassure. Le pays ne disparaîtra pas sous la poudreuse. On lui déroulera le tapis blanc, voilà tout. «C’est parfait, alors.»

Je parie un gratteux que des fans de France ou de Belgique feront aussi le voyage. Mazette! Voir Raphaël dans une salle de 500 places, c’est inouï. À portée de minois mignon! Pour l’intéressé, me dis-je, c’est le retour à la case départ. Retour en 2000? Il me détrompe.

«Je ne le vis pas comme ça. Il m’est arrivé de jouer à l’étranger dans des endroits où très peu de gens me connaissaient. Ce qui est bien, c’est de jouer, voyager, voir du pays, avoir un autre éclairage sur les choses. Je vais découvrir le Québec, que je ne connais pas. C’est surtout ça qui m’enchante.»

Le fait est que l’album au million d’exemplaires a échoué ici en septembre 2005. Et pour ainsi dire passé dans le beurre mou: les quelques papiers élogieux (dont le mien, pâmé) n’ont pas suscité le moindre son de cloche dans les radios commerciales. Ni la chanson-titre, tube géant là-bas, ni la magnifique Et dans 150 ans (presque du Brel!) n’ont convaincu les programmateurs. Il faut dire qu’à ce moment-là, Raphaël n’était pas venu leur faire risette.

«On m’a dit qu’au Québec, c’est souvent comme ça. Les artistes, il faut qu’ils viennent pour déclencher des choses. Moi, pendant deux ans, j’ai été tout le temps en tournée en France ou ailleurs. Tournée qui s’est terminée à la fin janvier: ça fait 15 jours que je suis libre. Et me voilà.»

Le voilà, en concert intimiste. Occasion unique? Raphaël relativise.

«Il m’arrive encore de jouer dans des clubs. C’est bien. Mais les grandes salles aussi, c’est bien.» Le gars n’est pas regardant. «Jouer, c’est ce qui compte.»

Il n’est pas apeuré par le vedettariat non plus. Ni grisé. On a beau chercher la grosse tête, on ne trouve que du gros bon sens.

«Le côté idolâtrie, dans les gros concerts, ne me dérange pas du tout.» C’est conscient, avoue-t-il sans ambages. «Nous, sur scène, on crée ça. On sort d’un rapport humain normal. C’est une manipulation.»

On retrouve bien là le Raphaël Haroche de Boulogne-Billancourt, fan fini de David Bowie (et de son alter ego scénique Ziggy Stardust) depuis l’enfance. Le même Raphaël qui reprenait The Man Who Sold The World du même Bowie au spectacle de Spa. Le même Raphaël qui a réquisitionné Carlos Alomar, ancien guitariste du même Bowie, pour Caravane. «Ça ne fait pas de moi une sorte de Bowie sur scène, loin de là. Mais je comprends ce qui se passe quand on est 10 000 ou 20 000 et qu’on voit le chanteur sur un écran géant.» Forcément, tout est grossi, démesuré.

«Et c’est bien. Moi, quand je vais voir un spectacle dans un stade, je ne recherche pas un sentiment de proximité.»
«De toute façon, ajoute-t-il, cette phase d’idolâtrie ne peut pas durer. Le succès un peu fou que j’ai vécu avec Caravane relève presque du fait divers. Je ne crois pas que mes albums suivants marcheront autant. C’est un moment, une espèce d’étincelle. Mon prochain disque se vendrait cinq fois moins et ce serait encore formidable. Je ne sens pas de pression: du moment que je peux jouer, c’est bien. Il faut voyager léger, hein?»

Au Québec, il sera presque nu. Un accordéoniste, un pianiste, un bassiste. En bagage, il n’aura même pas toutes ses chansons.

«C’est un spectacle comme celui que j’ai fait au Châtelet, avec pas mal de reprises. Presque un tiers. Il y a du Bashung, du Manset, une chanson de Christophe qui s’appelle J’l’ai pas touchée, que j’aime beaucoup, Une petite cantate de Barbara. Et peut-être Frédéric de Claude Léveillée. Après deux ans de tournée, j’en avais un peu marre de ne chanter que mes chansons.»

C’est légitime. Du moment qu’il n’oublie pas Et dans 150 ans. Et Caravane. Et Sur la route. Et La Ballade du pauvre. Et Ne partons pas fâchés. Et les autres. Sinon, on lui lance des balles de neige.

Sylvain Cormier Le Devoir (Montréal)