Du bon Raphael, toujours aimante par la melancolie

Mars 2007. Dans un petit appartement de Prague, Raphael est penché sur ses nouvelles chansons. Il est seul. Sa compagne, l’actrice Mélanie Thierry, tourne non loin de là. Dans une brocante, il s’est trouvé une guitare de 1910. Il n’en fallait pas plus :

« Je me suis fait mon petit film. Cette guitare avait forcément appartenu à un musicien qui avait vécu des trucs dramatiques. Surtout dans cette ville où l’on ressent un certain monde disparu. »

Voilà où et comment est né le nouvel album de Raphael. Au coeur de la vieille Europe, dans un état d’esprit qui poussait évidemment à la mélancolie. Mais comment inventer un digne successeur à Caravane, multi-vendu (1,8 million) et multi-primé (3 Victoires de la musique), l’un des disques phénomènes de ces dix dernières années ?

Raphael avait bien été tenté de filer aux Caraïbes, chercher d’autres couleurs :

« Je n’ai pas réussi. J’ai été rattrapé par mes chansons de roulotte. Au côté assez triste, vachement nostalgique, une espèce de truc perdu, plutôt de l’Est. Je ne sais pas pourquoi. »

Pour essayer autre chose, il a bien demandé à quelques plumes fort douées d’écrire pour lui :

« Miossec m’a fait des textes magnifiques. Dominique A m’a proposé une chanson sublime. Pourtant, je n’ai pas réussi à les intégrer. Sauf une de Gérard Manset. Mais nous sommes tellement proches que c’est plus facile. »

Un court répit après Caravane

Du coup, Je sais que la terre est plate peut se poser en diptyque de Caravane. Abordée à Prague, l’écriture s’est prolongée à Paris et s’est achevée dans le Lubéron, en août :

« J’avais loué une maison, avec des copains musiciens. J’ai passé quinze jours torse nu sur la terrasse. Ça s’est passé sans jamais se forcer. »

Il s’est à peine accordé quelques semaines à ne rien faire. Après sa tournée de 120 dates, il y avait eu son concert de reprises de grandes chansons françaises, ponctué d’un disque live. En janvier 2007, il participait à la tournée des Aventuriers, avec Cali, Aubert, Darc… En avril, il donnait cinq concerts avec Bashung,

« un interprète démentiel, bouleversant »

. Enfin, le mois précédant Prague, il était au Canada pour une poignée de spectacles.

Ah, si… Il s’est plongé un moment dans la littérature et le cinéma russe (Bougliakov, Tolstoï, Maïakovski, Tarkovski).

« Il y avait une violence, une profondeur qui m’intéressait. »

Et il s’est mis en tête d’apprendre à piloter des avions.

« Parce que j’ai peur de l’avion. Mais ça n’a pas changé grand-chose »,

conclut-il en riant.

Et d’avouer finalement :

« Après Caravane, j’ai eu l’impression de me laisser dériver un peu. J’ai donc eu très rapidement envie de refaire de la musique. Parce qu’il n’y a que ça qui m’intéresse, qui m’amuse. Rester longtemps sans écrire des chansons me donne l’impression de me perdre. Si je ne fais pas de musique, je ne suis plus musicien, mais un type qui s’emmerde

Il s’est donc retrouvé assez vite avec une dizaine de nouvelles chansons, juste en guitare-voix. Restait à les habiller. Et là, il faut reconnaître qu’il a fait très fort. Le triomphe de l’album précédant lui assurait un budget confortable. Il a réuni une équipe de musiciens de rêve, dont à nouveau le guitariste Carlos Alomar (ex-Bowie). Et le New-Yorkais Robert Aaron :

« Il est hyper-inventif, avec une idée loufoque par minute. Et joue de tout. »

Pas moins de quatre guitaristes (dont lui-même), quatre batteurs et quatre bassistes se sont succédé au chevet des chansons.

En concert en novembre

Pour la réalisation, il s’est gardé quelques titres, confiant le reste aux réputés Tony Visconti et Renaud Letang.

« Moi, j’ai tendance à accumuler les textures. Tony un peu moins. Quant à Renaud, il fait le vide. Il aime que tout s’entende. Et il est extrêmement rythmique. »

Le résultat est impressionnant. À écouter au casque, c’est un régal.

Il y a bien sûr Le vent de l’hiver et ses envolées tziganes, intemporel et entêtant. Et puis le titre Je sais que la terre est plate, avec sa flûte et ses choeurs, où un personnage semble perdu dans ses rêves, le nez dans les nuages. L’exil, l’un des thèmes favoris de Raphael, revient dans Adieu Haïti, mais transfiguré par la voix épaisse de Frederick « Toots ». Le petit train estdu Raphael tout craché, où l’auteur semble rester insensible à tout, amour et temps qui passe, sur une ritournelle habilement appuyée d’une rythmique reggae. Quant à Concordia, signée Manset, inspirée d’une mésaventure de Saint-Exupéry, c’est une splendide chanson.

Raphael présentera tout ça sur scène au mois de novembre. Le 7, il sera à Nantes et enchaînera avec Rennes le lendemain et Caen le 16.