Le Nouvel Observateur. – La chanson populaire ne serait-elle pas en voie de disparition ?
Le temps nous le dira, il en faut pour laisser aux gens la possibilité d’associer leurs souvenirs aux chansons de leur époque. Je pense qu’un jour, quand ils réécouteront «C’est quand le bonheur ?» de Cali, ça leur rappellera ce qu’ils ont vécu au moment où ils l’ont découverte. Moi, je ne cible pas mon public, je ne suis pas élitiste, je veux m’adresser au plus grand nombre. L’inverse serait absurde, d’ailleurs. Il y a une ambiguïté entre «populaire» et «populiste». Dès qu’on se veut populaire, on est suspecté de renoncer à toute ambition artistique et de vouloir racoler. Mais Gainsbourg, l’un de mes modèles, n’était-il pas un chanteur populaire ?
N. O. – Etes-vous consensuel ?
Bénabar. – Je ne le crois pas, je ne l’espère pas. Je me suis toujours positionné politiquement sans craindre de perdre du public. Donc je ne suis pas consensuel puisque j’affiche mes opinions. En revanche, les valeurs très françaises que je défends dans mes chansons, comme l’amitié ou la famille, le sont.
N. O. – Vous dites souvent que vous êtes un chanteur de gauche. Qu’est-ce que ça signifie ?
Pas grand-chose. Si je l’ai souvent clamé, c’était pour éviter tout malentendu. Dès qu’on commence à exister médiatiquement, il faut annoncer la couleur, donner les grandes lignes de sa personnalité. Je suis convaincu que plein de gens de droite aiment Renaud parce qu’ils savent à qui ils ont affaire.
N. O. – Si vos chansons parlent tant aux gens, c’est notamment parce qu’elles racontent des histoires qu’ils ont vécues…
Je pense que nous sommes nombreux à vivre les mêmes histoires, nos vies se ressemblent souvent : des copines en galère sentimentale, on en connaît tous. Quand je fais un patchwork d’histoires arrivées à deux ou trois personnes de mon entourage, d autres s y retrouvent fatalement. Mais si je m’inspire de faits réels, au moment d’écrire je change le prénom. Ca m’évite de tomber dans le pathos ou l’impudeur.
N. O. – Quand vous parlez de vos influences, vous évoquez toujours les artistes de l’époque des Carpentier Vos goûts artistiques doivent bien évoluer un peu !
Je découvre la musique classique à laquelle je suis arrivé par les grands succès, toutes ces oeuvres décriées par les puristes. Je trouve les tubes de Satie, Ravel ou Chopin fascinants, ludiques, accessibles.
N. O. – Et en chanson ?
J’ai un faible pour Joe Dassin ou Michel Delpech, je les aime vraiment, ce n’est pas une posture, mais j’écoute plus souvent Alain Bashung. Il me touche et m’impressionne par sa capacité à faire d’énormes succès avec des chansons de qualité.
N. O. – Vous auriez préféré être l’invité principal des Carpentier ou de Denise Glaser ?