Bénabar : une bonne fréquentation

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Ceux qui le trouvent drôle et sincère sont les plus nombreux. Ceux qui voient en lui un successeur de Michel Sardou dans le rôle du chanteur popu ne le ratent pas. Ceux là sont minoritaires. Intelligentsia parisienne contre bon sens villageois? Avec la sortie de « Infréquentable », Bénabar risque de renforcer encore le clivage. Ce sixième album arrive après le carton de « Reprise des négociations », son précédent, mais le chanteur n’est pas plus serein pour autant.

« Benabar: Chaque nouvelle sortie d’album a un côté saut dans le vide. On a pris des parachutes, mais ce n’est vraiment que quand l’album sort qu’on peut en mesurer les choix, et moi je suis plutôt anxieux comme garçon, et je trouve sain de ne pas partir en terrain conquis à la sortie d’un nouveau disque. Les chiffres de vente du précédent ne me font pas oublier qu’on recommence à zéro.

En vous entourant de la même équipe, vous vous sentez rassuré ?

Bénabar: Oui, le côté bande de copains en tournée contribue à la tranquillité d’esprit. Mais c’est aussi une question de goût. Certains aiment bien renouveler régulièrement, c’est important c’est vrai, mais j’aime davantage l’idée de rajouter des gens. C’est ce que nous avons fait sur « Infréquentable ». Mais la tournée se fera avec la même bande parce que c’est utile de bien se connaître sur scène. Je n’aime pas l’idée d’avoir le chanteur et son orchestre. La bande de copains sur la route, avec tous les côtés débordements adolescents que cela sous-entend, je n’en ai pas encore fait le tour. Malgré la quarantaine arrivant, ça m’amuse encore, et en plus, je crois que c’est payant sur scène. Moi je suis un homme à copains, comme on dit. C’est central chez moi. Dès le début, j’ai essayé d’organiser ça dans la musique.

Le métier de chanteur implique un entourage important, pour rassurer et protéger l’ « artiste », non?

Bénabar: Je n’ai pas de hiérarchie dans les copains, c’est vrai que je suis protégé, mais je crois que dans mon cas, c’est une affaire de caractère. J’aurais de toute façon été protégé. J’essaie d’organiser ça autour de moi, ça fait partie du boulot. C’est un métier qui donne le sentiment d’être très vulnérable, artistiquement d’abord, avec ce sentiment de remise en question à chaque fois, qui est aussi un moteur. C’est toujours le public qui décide si je fais un Bercy, une salle de 500 personnes ou une tournée dans toute la France.

Comme vous chantez beaucoup à la première personne, on peut avoir l’impression de vous connaître en écoutant vos chansons…

Bénabar: Je suis quand même un bon tricheur. Mes chansons disent juste que je suis un homme, parisien, hétérosexuel, plutôt de gauche, et on sent juste les quelques valeurs qui sont importantes pour moi en écoutant mes chansons. Mais je mets une distance, parce que ce serait trop envahissant. De toutes façons, toutes les chansons parlent de l’auteur, quelque soit la chanson, et quelque soit l’auteur. C’est bien aussi de s’éloigner, parce que le côté nombriliste est touchant au début, mais il faut vite atteindre quelque chose de, idéalement, universel, surtout pour pouvoir s’adresser aux gens. A un moment il faut parler de tout le monde, même si au fond, toutes mes chansons parlent de moi.

Votre ascendance vous destinait à évoluer dans le milieu artistique, avec un père régisseur de cinéma, et une mère libraire…

Bénabar: Je m’en rends compte aujourd’hui. Mes frères sont aussi dans ce milieu, le petit, artiste peintre, le grand scénariste, et c’est lui qui réalise mes clips. Mais moi, je n’ai jamais rêvé d’être chanteur, ce n’est pas de la vocation. Je me destinais plus à l’écriture, le fait de raconter des histoires. Je voulais juste jouer de la trompette quand j’étais enfant. Avec le recul, cette distance m’a aidé, ce fait de prendre les choses au jour le jour, de ne pas penser au delà du concert du soir, ou à celui du lendemain. Je ne me suis jamais projeté plus loin, et c’est, je crois, ce qui m’a permis de faire le boulot assez simplement.

Après j’ai eu la chance que les choses fonctionnent bien. Mais pour moi, se voir plus tard chanteur est une connerie, au moins autant que se voir acteur. On joue un rôle, on chante, mais le côté acteur avec une écharpe blanche, se projeter dans ces métiers quand on est jeune, c’est contre productif. On voit bien ce qui se passe avec la Star Académy. On ne peut pas se projeter en tant que chanteur sans parler de chansons. Le métier de chanteur en soi n’existe pas, ce qu’il faut c’est avoir quelque chose à chanter. C’est la chanson qui a fait de moi un chanteur. En même temps, on ne devient pas pilote de ligne ou chanteur pour rien. C’est pourquoi je peux dire que j’ai toujours eu envie de m’adresser au plus grand nombre en faisant de la chanson. De la variété. Je ne voulais pas m’adresser à une tribu précise, je n’ai jamais recherché l’intimisme. J’ai tout de suite eu très peur quand je me suis retrouvé dans un circuit très chanson française, avec le portrait de Léo Ferré ou celui de Brel au dessus de la tête. Je ne voulais pas de cet intégrisme- là. J’ai toujours souffert de claustrophobie artistique

Aucune figure emblématique ne vous a jamais inspiré, alors ?

Bénabar: Si, bien sûr. Brel, Renaud, Souchon, Delpech… Mais j’ai toujours été assez prétentieux pour vouloir faire mes propres trucs. Il faut savoir d’où on vient mais pouvoir faire sa route aussi, sans se demander:« qu’est-ce qu’aurait pensé Brassens de ma chanson? ». C’est trop castrateur. J’ai des tics de Renaud, d’Higelin, je le sais, mais je l’assume bien !!

Votre image dans les médias est elle toujours aussi importante? A vos débuts, vous avez dit que vous auriez aimé faire la couverture des Inrockuptibles, c’est toujours le cas ?

Bénabar: C’est vrai qu’au début, l’image me troublait beaucoup. J’étais très attentif à ce qu’on disait de moi, comment on en parlait. Je ne pose plus ce problème aujourd’hui, je sais que l’image est incontrôlable, et qu’il ne faut surtout pas essayer de la contrôler. Il faut être indépendant des critiques comme des compliments, du public comme de la maison de disques, et faire ce qu’on a envie. Après, les gens le prennent ou pas. Il faut être honnête, et ne pas se plaindre si le public ne vous suit plus ou si les critiques vous éreintent. Et puis, à propos des Inrocks, j’ai dit aussi dès le début que je préférais faire la couverture de Télé Poche que celle des Inrocks… »

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José RUIZ