Bénabar Un garçon très fréquentable

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Contre les vertiges du succès, l’autodérision constitue une arme imparable. N’est-ce pas Bénabar ?

On l’a connu débutant doué et drôle, écumant les petites salles et vendant quelques poignées de disques. On le retrouve sept ans plus tard, alignant les Zénith combles et les disques à succès. Et toujours aussi drôle. Ses opinions n’ont guère varié, son attitude non plus. Bénabar est définitivement beaucoup moins «Infréquentable» que ne le prétend son nouvel album, une franche réussite.

Cet album paraît plus sombre que les précédents. Un effet de la quarantaine qui approche ?

Il est un peu moins clinquant, c’est vrai, donc il peut donner ce sentiment. Mais ce n’était pas un choix, les chansons sont venues comme ça… J’imagine que quand je vais avoir 40 ans ça va me foutre un coup, mais je trouve ça bien de vieillir. Déjà c’est une chance, il y a plein de gens dont la vie s’arrête trop jeune. Le temps qui passe, ça va, mais perdre mes cheveux, ça c’est un gros problème, c’est déprimant.

Meuh non, vous avez toujours l’air d’un adolescent.

Oui mais j’ai peur que ça arrive d’un coup et que, sur un an, je prenne dix ans dans la gueule (rires)!

Une des nouvelles chansons («Malgré tout») évoque la postérité de votre génération. La postérité en tant que chanteur, vous y songez ?

Pas du tout, déjà je ne le mérite pas, je dis ça sans coquetterie. J’espère juste rester une petite génération avant de sombrer dans l’oubli définitif. N’est pas Mozart ou Proust qui veut. J’ai réglé le fait que je ne suis pas un génie, maintenant je l’assume (rires) et je le vis très bien, je suis très content d’être connu de mon vivant.

Est-ce que le succès vous a rendu «Infréquentable» ?

J’ai beaucoup de défauts et je peux être vraiment très très con, mais infréquentable, non, je ne crois pas, ou juste un moment. Si ça dure, ça veut dire que ce sont des gros cons à la base. Il y a une histoire de profil, parce que tu rencontres des coiffeuses ou des garagistes qui ont le melon. Ça dépend de l’âge, aussi, j’ai commencé à avoir du succès à 30 ans passés… Même si j’ai des caprices de vedette, ça reste supportable. J’ai des impatiences complètement connes, des fois j’ai envie de boire un café tout de suite ou je trouve le champagne très mauvais. Il faut être un peu chiant, sinon ça ne sert à rien d’être une vedette (rires).

C’est l’autodérision qui vous sauve !

C’est utile, surtout que je parle de moi dans mes chansons. S’il n’y a pas un minimum de recul, qui n’est pas une posture, ça pourrait devenir complètement insupportable. Un peu de légèreté, quoi, et puis ce ne sont que des chansons.

Des chansons encensées au début, davantage critiquées aujourd’hui…

Oui, c’est le passage obligé, il y a un drôle de truc, le fameux «brûler ce qu’on a aimé» et aussi l’importance qu’on donne à la nouveauté… Les critiques ne me font pas plus plaisir qu’aux autres, mais je ne peux pas trop me plaindre, j’ai quand même été plutôt soutenu. Les critiques me troublent un peu mais elles font tellement partie du jeu. Et puis, franchement, on sait tous que plus tu as de critiques, plus tu existes; il y a un truc un peu pervers.

On vous sait anxieux. L’écho que vous avez désormais vous aide dans ce domaine ?

Ce n’est pas un métier qui peut résoudre l’anxiété, au contraire, tout va dans ce sens. En même temps, j’ai des copains chanteurs qui sont très tranquilles. Moi, même si j’avais été coiffeur, je crois que j’aurais été anxieux. C’est quelque chose que peut-être inconsciemment je cultive, parce que ça permet de rester un peu vigilant, de ne pas s’endormir – ce qui ne veut pas dire forcément faire des chansons meilleures à cause de ça… Le succès, ça tranquillise sur le moment, ça encourage, surtout. Je sais que j’en aurai moins un jour ou l’autre et que j’aurai du mal à l’encaisser; c’est aussi pour ça que j’essaie de prendre du recul par rapport à ce que je vis en ce moment.