Bénabar : sur Internet, « on ne devrait pas conduire bourré »

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Bénabar utilise beaucoup Internet : il s’y informe (« je n’achète plus la presse »), il télécharge de la musique (légalement), il flâne sur Deezer. Internet, c’est formidable, mais bon, il faut le dire, certains jours, Internet l’afflige.

Et notamment ce qu’il appelle les « paparazzades » : des petits événements, des bouts de phrases qu’il prononce. Détachées de leur contexte, elles filent sur la Toile, tissant en quelques minutes des légendes, générant des commentaires anonymes et souvent insultants.

La façon dont la musique est copiée à tout-va est également un truc qui le navre. Il juge qu’il faut avoir le courage de le dire, et de placer sur Internet quelques feux rouges et autres limitations de vitesse :

« Je suis libertaire, mais bon, je suis pour un code de la route. Ça fait peut-être père de famille bourgeois de dire ça, mais je pense qu’on ne devrait pas conduire bourré. »
Sur Mitterrand et Hadopi, « je réponds en bâclant un peu, en bottant en touche… »

Il est venu le dire sans ambage à Rue89, jeudi soir, dans un entretien qu’il a voulu par écrit. Le déclencheur de cette rencontre, c’est une vidéo de trois minutes et demi que nous avons glissée, la veille au soir, dans notre rubrique Zapnet.

Elle a été tournée par une journaliste du site Kazados.tv lors de la conférence de presse du festival Solidays. On y voit Bénabar commenter sans aménité l’arrivée auto-annoncée de Frédéric Mitterrand au gouvernement (« j’ai été affligé de la façon dont il a parlé, j’ai trouvé cela d’une suffisance… ») et défendre la loi Hadopi (« Internet fait partie des choses qu’il faut surveiller de très près… »).

 

Bénabar est tombé sur cette vidéo en cherchant son nom dans Google Actualités (« je sais, c’est du masochisme, on tombe rarement sur “gros génie” »). Il a été agacé par sa diffusion par Rue89 et par le titre que nous avons choisi : « Bénabar et la suffisance de Frédéric Mitterrand » :

« Je participe à une conférence de presse de Solidays, donc un événement de soutien à l’association Solidarité Sida. On parle du sida en Afrique, de l’absence de médicaments, et puis il y a deux questions, l’une sur Frédéric Mitterrand, l’autre sur Hadopi.

Je réponds en bâclant un peu, en bottant en touche… et ce sont ces deux réponses, seulement ces deux là, qui sont retenues.

Moi, j’en ai un peu marre. je ne pratique pas la langue de bois, je trouve désespérant d’avoir à rester dans le discours consensuel… dès qu’on emet un avis qui sort un peu lot, c’est tout de suite une affaire. »

« La plupart de mes copains chanteurs ne parlent pas de politique »

On lui fait remarquer que les médias, sans attendre Internet, s’intéressent depuis toujours à ce qui sort du lot. Bénabar en convient, mais le Web cristallise selon lui ces petites phrases :

« Quand tu vois ce qui ressort sur Google, c’est “Bénabar Mitterrand Sarkozy Polémique”. On parle une demi-heure de Solidarité Sida, et c’est le mot “suffisance” qui va ressortir. Et vous faites tous de la pub là-dessus. Et on se fait ensuite insulter par des gens anonymes.

Franchement, je ne vois pas l’issue. A part ne plus rien dire, ce que je vais peut-être finir par faire, ou d’avoir une armée d’attachés de presse et d’avocats, comme aux Etats-Unis.

La plupart de mes copains chanteurs ne parlent jamais de politique, je commence à penser qu’ils ont raison. »

« Si je parle sur Hadopi, je passe pour le gros chanteur cupide »

Le sujet du moment le plus délicat, pour lui, c’est la loi Hadopi. Il commence à nous en parler, puis il hésite : « Allez j’arrête, je vais encore me faire insulter. » Puis il se relance. Selon lui, c’est le sujet piégé par excellence :

« Hadopi, j’en dis un mot, je passe tout de suite pour l’horrible gros chanteur cupide qui défend ses intérêts et les intérêts des maisons de disques.

Pourquoi les sites d’information ne parlent-ils jamais des autres lobbys, comme Google ou les fournisseurs d’accès ?

J’ai conscience qu’il y a des zones d’ombre dans cette loi. Mais il faut bien quelque chose pour réguler Internet. C’est affligeant de passer pour un mec de droite que de dire cela ! Réguler, c’est de gauche ! »

« Celle qui se fait virer chez Sony, c’est la standardiste, pas Madonna »

La violence du débat, lui fait-on remarquer alors, vient en partie du discours culpabilisateur : des gens qui partagent des oeuvres culturelles sont traités de voleurs, de pirates. Il nous arrête :

« Moi je n’ai jamais traité personne de voleur ! Je suis bien conscient qu’un père de famille qui galère à cause de la crise, il ne va pas emmerder ses fils parce qu’ils téléchargent.

Mais il faut arrêter avec la démagogie ambiante, la loi Hadopi n’était pas liberticide : celui qui télécharge illégalement reçoit d’abord un mail, puis une lettre…

Quand on parle de ces questions sur Internet, on ne parle que des intérêts de Madonna. Mais pendant ce temps, celle qui se fait virer chez Sony, c’est la standardiste. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un qui se retrouve au chômage chez Warner ou Sony, c’est moins grave que chez Dunlop ou Michelin !

Certes, qu’il y ait des abus, je suis d’accord. Quand je vois que mon disque est en vente à 18 euros chez Virgin, je pète un plomb. Mes places de concert sont parmi les moins chères (30 euros tarif normal, 25 euros tarif réduit).

Je suis le seul con à parler de cela, je vais encore me faire insulter. Ça ne vous choque pas les insultes anonymes, vous ? Il faut s’attaquer à cette question, l’anonymat, c’est sérieux. Internet est l’endroit où peuvent vivre le plus tranquillement tous les corbeaux du monde. Ce qu’on y voit parfois, c’est honteux. »

« Si les gens pensent se faire arnaquer, qu’ils regardent leur facture de mobile »

Nous faisons remarquer au chanteur qu’Internet n’est pas une zone de non-droit, qu’il est possible d’engager des poursuites en diffamation.

Tout cela est très théorique, répond-il : « Le problème, c’est la masse », celle des des commentaires, notamment, qu’il faudra selon lui « évidemment » modérer a priori. « Aujourd’hui, le moindre mec complètement dingue peut tenir des propos antisémites » :

« Si j’évoque Hadopi, on dit “encore ce Bénabar, ce bobo richissime”, alors que tout ce que je défends, c’est juste que “tout travail mérite salaire”. Si les gens pensent qu’ils se font arnaquer, qu’ils regardent leurs factures de téléphone portable ! »
« La gratuité c’est une fausse valeur, un mensonge »

Bénabar cite iTunes, la boutique de musique en ligne d’Apple, comme un début de modèle. Ses albums s’y vendent 9,90 euros. Ce qui est loin d’être abusif, selon lui, par comparaison à d’autres pratiques. Les gens « saignés » par les SMS de la la Nouvelle Star, sur M6, par exemple. Il poursuit :

« La gratuité, c’est une fausse valeur, un mensonge. Il n’y a pas de gratuité : il y a juste de l’argent dont la circulation change. Le paiement se déplace.
Vous avez repris une de mes petites phrases avec de la pub au début de la vidéo. Dans la masse des gens qui verront cette pub, il y en aura qui achèteront le produit vanté. De l’argent sera donc déboursé. Vous serez rémunérés… »

Contre le bouclier fiscal : « Et putain, les impôts, j’en paie ! »

Ne peut-on pas imaginer un système différent, dans lequel les artistes se rémunèreraient grâce à leurs concerts, par exemple ? Bénabar admet qu’il pourrait vivre uniquement de ses concerts « en ce moment ». Mais il ne doit pas selon lui servir de modèle :

« Quand on parle d’Internet, on me prend moi et Madonna en exemple. Et pourquoi pas Charles Aznavour, qui pourrait vivre, lui, sans disques et sans concerts ?

Mais ce sont ceux qui rapportent, dans les maisons de disques, qui permettent aux autres musiciens de se développer. Si j’ai pu faire mon premier album, c’est parce que la maison de disques [Sony Music, ndlr] avait Britney Spears. »

Sur scène, Bénabar ne parle « jamais » de ses convictions politiques (« je n’ai pas le droit d’emmerder les gens aux concerts avec ça, sous prétexte que j’ai un micro »). Il est de gauche, contre le bouclier fiscal, pour l’impôt sur la fortune : « Les impôts, ce n’est pas qu’une histoire d’argent mais, de valeurs. Et putain, les impôts, j’en paie ! »

« Les artistes disent qu’ils adorent Obama, pas pour qui ils votent »

Il a voté Ségolène Royal en 2007, l’a dit. Est-il pour autant un chanteur engagé ?

« Moi, ma conviction, c’est qu’on peut être chanteur et avoir comme tout le monde des opinions, sans
forcément être militant et ne parler que de ça. Ce n’est pas scandaleux de dire pour qui on vote.

C’est bizarre, en France, tous les artistes peuvent dire qu’ils adorent Obama, mais surtout pas pour qui ils ont voté ! »

On lui fait remarquer qu’il a, jusqu’à présent, moins l’image du « chanteur de gauche » que celle du « gendre idéal ». Il ne le prend pas mal. Mais ce qui le hérisse, plus que ce ce genre d’étiquette, c’est d’être encapsulé dans des déclarations :

« Le problème, à mon avis, c’est la dictature du “t’as dis ça”. Tu ne peux plus douter, bafouiller, réfléchir. »

Pascal Riché et François Krug