Benabar pour la sortie du film Incognito

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C’est votre première expérience d’acteur ; en aviez-vous envie depuis longtemps ?
C’était plutôt quelque chose qui m’excitait secrètement, comme plein d’autres choses dont on a envie mais que l’on ne va pas forcément réaliser : grimper l’Annapurna, conduire une Ferrari ou faire du saut à l’élastique… C’est ce genre de trucs-là pour lesquels on se dit que c’est probablement super sans que ce soit le feu sacré. Ce qui n’empêche pas une vraie attirance pour ce boulot-là.
Ce n’était donc pas un rêve de gosse ?
Non, pas plus que ça. C’était quelque chose qui tenait plus de l’ordre du fantasme que du rêve. Un truc que je ne pensais jamais réaliser.
Un fantasme beaucoup moins fort que la musique ?
Oui. Oui, mais la musique n’était pas un fantasme ; je n’ai jamais eu le feu sacré dans aucun domaine, à vrai dire.
Comment avez-vous réagi au fait qu’Eric Lavaine fasse appel à un chanteur pour en incarner un ? C’est un rôle de composition sans en être un…
Oui. Ce qui m’a facilité le boulot tout en le compliquant un peu. À l’époque où Eric m’a proposé le rôle, on commençait à me proposer des personnages ; pas cinquante, mais quelques-uns. Et je m’étais juré de ne faire ni des premiers rôles, ni des rôles de chanteur !
Vous êtes-vous reconnu en Lucas ?
Non, mais je me suis reconnu dans la problématique du chanteur : le sentiment
d’imposture qui plane dès qu’on a la chance d’avoir du succès ; même si c’est momentané. Si on regarde un peu ce qui nous entoure, quand cela marche bien en tant que chanteur, on est mieux payé qu’un chirurgien, ce qui est quelque chose d’un peu troublant. J’ai toujours eu un peu ce sentiment… Mais que l’on dépasse très vite, je vous rassure. Ce n’est pas un sentiment de culpabilité mais un peu d’imposture que l’on vit plus ou moins bien. Et c’est un peu l’histoire du film : l’imposture du chanteur qui est devenu connu avec les chansons d’un autre. Jusqu’à maintenant, j’ai toujours écrit mes propres chansons, mais il y a plein de copains, moins privilégiés que moi dans ce business, qui mériteraient tout autant. Et je suis très sensible à ça.
Pourriez-vous ressentir la culpabilité éprouvée par votre personnage ?
Oui. Bien que, question culpabilité, j’ai passé l’âge et je sais que cela se passe à un autre niveau. Indépendamment du fait d’être chanteur, par les temps qui courent, pouvoir manger de la viande trois fois par jour, ça devient un privilège ; le fait de partir en vacances, d’être sur scène et d’exercer un métier aussi extravagant que chanteur, ça explose tous les scores en matière de chance.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour vous immiscer dans la peau de quelqu’unque vous connaissez si bien ?
Je ne le connais pas tant que ça, en fin de compte. Le personnage est loin de moi, musicalement. On s’était d’ailleurs entendu avec Eric pour l’éloigner. Ça peut sembler tenir du détail pour quelqu’un de l’extérieur, mais, pour moi, c’était important. Lucas est vraiment quelqu’un de différent. Après, il y a ce petit sentiment d’usurpation (ce que je comprends tout à fait), mais, au final, je l’ai construit comme un personnage à part entière, pas nécessairement comme un chanteur. Je l’ai façonné de façon totalement empirique. J’ai travaillé avec Eric qui m’a bien aidé, et également avec Patricia Sterlin, une prof de théâtre.
Comment avez-vous travaillé avec elle ?
S’occupant surtout d’acteurs confirmés, elle a tenu a ce que l’on travaille très en amont. Nous nous sommes beaucoup concentrés sur le contrôle, afin d’éviter, au possible, les trucs de débutants. Elle m’a appris à tenir mon personnage, ne pas le juger ; ce qui est très compliqué. Et puis nous avons également fait pas mal de répétitions de textes, afin que je sois moins intimidé.
Dans quel registre vous sentiez-vous le plus à l’aise ?
Grâce à ce travail effectué en amont, je n’ai pas établi de différences entre les scènes de comédie ou de drame. Je ne me sentais pas plus à l’aise dans l’un de ces deux registres. Ce que j’ai surtout appris c’est gérer le temps de tournage. Tourner une scène peut s’avérer parfois long, et j’ai appris à ne pas tout donner lors des deux premières prises, par exemple. Mais, pour parler franchement, ce film a été comme faire des tonneaux en voiture ! On en a beaucoup parlé avant, Eric et moi. Nous avons énormément travaillé. Et puis le film est parti très vite ; donc, je n’ai pas eu beaucoup de recul pour émettre un avis sur ce qui se passait. J’espère que je suis convaincant bien sûr, mais, ce qui m’a surtout intéressé, c’est de participer à un projet commun. Un peu comme en musique. C’est comme un spectacle, en fait. C’est une entreprise vraiment excitante dans laquelle on essaye d’apporter sa petite touche et de participer au travail du réalisateur, des techniciens, des producteurs, des autres acteurs… C’est quelque chose d’excitant de savoir que l’on est une bande au sein de laquelle tout le monde compte sur tout le monde. C’est similaire à ce que je connais sur la route, en tournée. C’est un sentiment satisfaisant, bien que je n’aie pas eu le temps d’intellectualiser ce qui m’arrivait.
Comment vous êtes-vous débrouillé vis-à-vis des autres acteurs ?
Venant d’un autre domaine, et étant très convaincu des dons d’acteurs de Franck, j’y croyais vraiment ; il y avait un beau rôle à jouer. On n’était pas du tout sur le même terrain lui et moi ; et c’était donc encore plus jouissif. J’ai toujours été un fan de Franck. Et parallèlement à cela, Jocelyn Quivrin est un type extraordinaire dont j’admire le jeu depuis un bon moment. D’ailleurs, Jocelyn, dont j’ai pu profiter de l’expérience, a été très bienveillant avec moi ; il m’a apporté de judicieux conseils, ce qui m’a aussi aidé à me sentir à l’aise. Par chance, il y a eu une espèce de rapport qui s’est installé entre nous trois et qui, je l’espère, sera convaincant aux yeux du public. Il n’y a pas eu de problèmes d’ego. Chacun était un peu dans son domaine et personne ne mangeait dans la gamelle de l’autre. Vous avez une facilité à prendre du recul sur vous-même.
Vous en êtes-vous servi pour Lucas ?
C’est vrai. Je m’en rends tellement compte qu’il faut que je compense un petit peu en retour.
Après, c’était le désir d’Eric de construire Lucas tel qu’on le voit à l’écran. Il ne fallait pas que ce soit un imbécile ; c’est quand même quelqu’un qui a piqué les chansons de son copain, mais il ne fallait pas qu’il soit méchant ou con. Il fallait que l’on voie sa faiblesse. On s’est attaché à ça et je n’ai pas eu trop de mal à nourrir ce côté-là, car je le comprends. Avoir du recul sur la célébrité, c’est ce que j’essaye de faire chaque jour.