Bénabar: «Plus on me critique, plus j’existe»

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Ses deux précédents albums se sont écoulés à plus d’un million et demi d’exemplaires. Forcément, ça fait des jaloux. Mais Bénabar n’en a cure. Lui, il pense chanson, musique, public. Et se fait donc plus populaire que jamais avec cet «Infréquentable», son tout nouvel album. Diversité instrumentale (flûte de Pan, guitares, choeurs masculins), textes finement ciselés, humour ravageur, Bénabar peaufine encore sa recette miracle. En pleine course promotionnelle, il confesse à l’autre bout du fil: «C’est la grande tournée des popotes qui commence, mais ce n’est pas désagréable. Comme je le dis tout le temps, c’est mon sujet préféré!»

En quoi êtes-vous «Infréquentable» ?

Pour plein de raisons, mais pour être franc, je ne pense pas l’être complètement. Parfois. Surtout dans les moments de déprime, je suis très ennuyeux, très chiant. Je suis plutôt de bonne compagnie mais je suis aussi très nerveux et inquiet. Ça peut créer une ambiance très délétère.

Il y a beaucoup de choeurs masculins dans cet album, et tous vos musiciens sont des hommes; c’est mieux entre hommes ?

Non, je ne pense pas. Je dois reconnaître que sur scène, il n’y a pas de filles mais ce n’est pas un choix sexiste. Ce n’est ni bien ni pas bien. Si l’idée se présentait, je prendrais une fille pour qu’il y ait une forme de parité. Mais je ne refuse pas du tout de travailler avec des femmes.

Vous dites ne pas vous sentir engagé, pourtant le titre «L’effet papillon» l’est plutôt, non ?

C’est quelque chose que j’essaie de faire: être concerné, avoir un avis sur ce qui m’entoure, ne pas être dans ma tour d’ivoire de chanteur qui vit confortablement. J’ai mes opinions mais je ne vais pas emmerder tout le monde avec ça.

Vous faites preuve d’autodérision; vous avez besoin de nous faire comprendre que vous ne vous prenez pas au sérieux ?

Oui, c’est vrai. C’est important d’avoir un peu de recul, surtout quand on a la chance de faire un métier comme le mien, de très bien gagner sa vie. Pour sa santé mentale, il faut remettre chaque chose à sa place. Ça permet aussi d’installer une complicité avec les gens qui n’est pas feinte, en leur disant: «Ouais, je sais que j’ai beaucoup de chance, je ne mérite pas forcément toute l’attention que vous voulez bien me prêter.»

Vous évoquez en chanson vos presque 40 ans. C’est un cap pour vous ?

La fuite du temps, c’est effrayant. On perd des êtres chers et tout disparaît. Mais le fait de vieillir, c’est quelque chose que je prends avec philosophie et plaisir. C’est bon que les mômes grandissent et que les papas vieillissent.

Surtout quand les papas ont toujours une tête de jeune homme…

Oui, mais il y a un jour où ça va changer! Avec la quarantaine, je commence à perdre mes cheveux. Mon physique va bientôt ressembler à mon âge.

Vous êtes coquet ?

Je le deviens de plus en plus. Je commence à faire gaffe car les filles me regardent de moins en moins. C’est une expérience très traumatisante dans mon cas. Je suis resté très simple dans mon apparence mais quand je regarde mes cheveux, ma calvitie naissante me travaille beaucoup…

Chanteur populaire, c’est un terme qui vous convient ?

J’espère pouvoir y prétendre un jour mais c’est le public qui choisira. Chanteur populaire, dans le sens qui chante pour tout le monde, oui, j’y crois.

C’est ce que beaucoup ne vous pardonnent pas aujourd’hui, et vous attaquent de toutes parts

Je suis très susceptible mais ça fait partie du jeu. J’essaie d’être honnête avec moi-même. Si j’accepte qu’on vienne m’applaudir à Bercy ou qu’on achète mon disque, je suis obligé d’accepter les critiques. Je comprends que j’exaspère certaines personnes. Mais je me félicite de voir que je n’exaspère pas trop de monde.

Certaines critiques sont pourtant très virulentes…

J’ai souvent cherché à ne pas être consensuel, donc ça fait partie du jeu. Je suis conscient d’être privilégié, d’avoir été soutenu par la presse. Même quand les critiques m’attristent ou m’énervent, je m’efforce de tempérer. Je suis plutôt du côté des chanceux. Je constate que les vraies critiques ne sont par chance pas très nombreuses.

Y a-t-il de vraies amitiés dans le métier ?

Nombreuses! Je peux donner l’impression d’être isolé mais j’ai beaucoup d’amis dans le métier. Je fréquente beaucoup le show-biz, comme on dit, pas dans les boîtes de nuit mais plutôt au restaurant, chez les uns ou chez les autres. Ça va plutôt pas mal. Et très cyniquement, plus on me critique et plus j’existe.

Si ça devait ne plus marcher, que feriez-vous ?

J’aimerais pouvoir vous dire que je prendrais la chose avec recul et philosophie mais je le vivrais extrêmement mal. Même si on est de grands garçons, on ne peut s’empêcher de faire l’amalgame entre ce que le public pense de votre album et ce qu’il pense de vous.

Vous chantez donc pour être aimé ?

Au fond, je pense que oui. J’ai pas mal réussi mon coup, non?

Il n’est pas si «Infréquentable» que ça!

«Avec cet album, j’ai essayé d’innover, de ne pas entrer dans la facilité. Ça reste écrit par mes soins, donc très cousin de ce que j’ai fait avant, mais j’ai tenté de ne pas faire du Bénabar, de ne pas m’auto-parodier», raconte le chanteur au sujet de la production de cet «Infréquentable». Alors oui, ça reste du Bénabar, on le reconnaît au détour de toutes les chansons. Mais la production musicale s’est diversifiée – la guitare a remplacé le piano – et, dans le fond, il rigole moins, le Bénabar, quand il évoque le réchauffement climatique dans «L’effet papillon» ou la dépression avec «Allez!»: «Au niveau de la dynamique, c’est pas la Compagnie Créole/Faut pas t’laisser aller, j’te signale qu’t’es en peignoir, vautré sur la banquette/C’est normal qu’à 18 h, Muriel s’inquiète», chante-il.

Mais il n’en oublie pas pour autant son humour, comme sur ce titre, «Pas du tout», composé par Louis Chedid. «J’ai des raisons d’être fier de ma chanson, elle est super!» s’exclame-t-il alors qu’on lui répond en chorale «Pas du tout!». Parmi les très belles trouvailles de cet album, il y a «Voir sans être vu», magnifiquement orchestrée, ou l’enjoué «Infréquentable», où il chante avec délices: «Je t’aime mais en pensant à mal/Parce que tout passe et tout finit sans la moindre morale/Prêt à tout pour que tu m’aimes aussi.» Il y a beaucoup de pop sixties dans cet «Infréquentable», un petit air à la Nino Ferrer. Qui sied à merveille à ce garçon finalement très fréquentable.

Karine Vouillamoz – le 11 octobre 2008, 18h24
Le Matin Dimanche