Il arrive au rendez-vous avec trente minutes de retard sans que personne n’arrive à lui en vouloir. Son secret ? Après s’être excusé, Bruno Nicolini (son vrai nom) vous glisse avec ironie que c’est pour se donner une image de rock star. Charmant, simple et élégant, ce poète saltimbanque auteur de trois albums solo à succès – Bénabar, les Risques du métier, Reprise des négociations – donne le ton de la conversation : pour ce garçon de 36 ans, le second degré est roi !
Le Figaro Magazine – «Quatre murs et un toit». Où avez-vous passé votre enfance ?
Bénabar – En banlieue parisienne. Mon père était technicien de cinéma et ma mère, libraire. J’ai deux frères. Le plus âgé est aujourd’hui scénariste dans l’audiovisuel et le petit dernier est artiste peintre.
«Le Cahier de solfège». ÉTIEZ-vous bon élève ?
J’étais dans la catégorie «Peut mieux faire». Le genre de cancre assez malin pour passer dans la classe supérieure tout en étant copain avec les charlots de la classe. Le traître, quoi.
«Maritie et Gilbert Carpentier». Quels étaient les chanteurs qui vous faisaient rêver ?
J’aimais surtout Higelin, Renaud et Tom Waits. En grandissant, j’ai vraiment adoré la variété française : Souchon, Delpech… Sans parler des grands sanctifiés : Brel, Brassens, Gainsbourg. Ce sont des modèles de carrières bien menées. Quand je vois Souchon à la télévision, je me dis que j’aimerais être aussi classieux que lui dans trente ans.
«Couche-tard et lève-tôt». L’inspiration vous vient-elle la nuit ?
Pas dans le sens romantique avec le côté insomnie-bouteille de whisky. Quand j’écris la nuit, c’est que je n’ai pas pu le faire dans la journée. Mes textes sont un mélange d’autobiographie et d’imagination. Le vécu permet d’être crédible dans les sentiments et les choses inventées donnent de l’intérêt. Mais je n’écris jamais une chanson d’une traite. Je suis plutôt laborieux, malheureusement.
«L’Itinéraire». Qu’aimez-vous le plus dans une tournée ?
Le plus grand plaisir est évidemment de rencontrer le public. C’est à ce moment-là qu’on défend ses chansons et que l’on voit si elles fonctionnent. Mais la vie de tournée est aussi palpitante. Sans rentrer dans tous les clichés rock and roll, j’aime m’endormir dans un bus à Lille et me réveiller à Marseille, j’aime cette vie en vase clos autour de la musique. Ce n’est pas forcément idéal pour la santé mentale mais c’est assez excitant.
«Dramelet». Vous souvenez-vous de la première fois que vous êtes monté sur scène ?
C’était au sous-sol d’un bar de Montmartre. Il y avait un très large public… d’une douzaine de copains. Mon répertoire devait s’arrêter à quatre chansons. Mais je me souviens surtout d’un premier vrai concert à Montreuil. Le camarade avec lequel je me produisais est arrivé en retard, complètement ivre. Je crois que ça a baptisé ma carrière.
«Dis-lui oui». Regrettez-vous d’avoir dit oui à certains projets pour l’argent ou la notoriété ?
Pas encore. Mais je ne peux en tirer aucune gloire, car, dans ma vie de petit bourgeois, je n’ai jamais été obligé de faire quoi que ce soit pour l’argent. Quant à la célébrité, je ne refuse pas les émissions de télé, ça mefait plutôt marrer.
«Majorette». Aimez-vous les fêtes populaires ?
Oui. Petit, je jouais de la trompette et, dans les défilés, du cornet à piston. Ce sont des choses qui ne s’oublient pas.
«Sac à main». Avez-vous des objets dont vous ne vous séparez jamais ?
Je porte toujours mes deux pendentifs : une médaille de baptême représentant la Vierge et la corne italienne de ma grand-mère. C’est à la fois catholique et païen : je suis assez couvert !
«La Coquette». Faites-vous attention à votre apparence ?
Je ne me préoccupe pas de mon image d’artiste. Chanter avec les 2 Be 3 ne me poserait aucun problème. Mais mon apparence physique me travaille. J’essaye de cacher ma calvitie naissante, de bien m’habiller. Sur scène, si je porte un costume, c’est pour me mettre en valeur. Et aussi parce que j’aime l’idée de jouer au rockeur dans l’habit du gendre idéal.
«Le Fou Rire». Avec qui en avez-vous ?
J’en ai beaucoup en ce moment, surtout lorsque mon fils de 2 ans fait le singe. Mais d’une manière générale, je suis assez rigoleur avec les copains. Cette amitié virile nous permet de partager des fous rires idiots !
«Tu peux compter sur moi». Qu’attendez-vous de vos meilleurs amis ?
La protection. Mes amis me protègent pas mal. Il nous arrive maintenant d’organiser des week-ends. On loue un gîte dans le Bordelais pour deux jours de bringue sans femmes ni enfants.
«Le Dîner». Pour vous, qu’est-ce qu’une soirée réussie ?
Regarder les deux films du dimanche soir vautré dans le canapé, cela peut être une bonne soirée. Mais j’aime aussi les dîners agités qui se prolongent jusqu’à la fermeture du restaurant.
«A notre santé». Etes-vous un bon vivant ?
Bien sûr ! J’ai même le melon en cuisine, je suis très prétentieux. Cela fonctionne par phases : dans ma période boeuf bourguignon, j’en cuisine jusqu’à atteindre le sommet. J’ai un côté très bobo dans ce domaine, j’achète les légumes de saison. Mais j’essuie parfois quelques échecs. Je me souviens notamment d’un risotto del mare infâme : une vraie cause de dépression !
«Le Méchant de James Bond». Quels sont vos films cultes ?
Sans hésiter, tous les films de Sautet : une référence incontournable. Mais je vénère aussi Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, Signes extérieurs de richesse de Jacques Monnet, avec Brasseur et Balasko, Clara et les chics types… Plutôt des films français.
«Bon anniversaire». Ressemblez-vous à votre génération ?
Comme beaucoup de trentenaires, j’ai l’envie paradoxale de voter pour l’extrême gauche tout en gardant mon petit confort. Le résultat, c’est qu’on devient gentiment socialiste à 40 ans.
«Christelle est une ordure». Qu’est-ce qui vous agace ?
Ce que je supporte le moins, c’est la bêtise satisfaite. Les gens contents d’être cons. Ceux qui revendiquent le fait de ne rien lire, par exemple.
«Le Zoo de Vincennes». Aimez-vous la nature ?
Jusqu’à maintenant, je m’ennuyais plutôt à la campagne, mais depuis que je suis père de famille, je vis une grande période d’embourgeoisement. Je rêve d’avoir une résidence secondaire et une voiture de banquier pour y aller.
«Je suis de celles». Qu’avez-vous de féminin en vous ?
Beaucoup de choses. Mais je crois que les hommes et les femmes ne sont pas si éloignés que ça, dans la vie. Chaque homme a pu regretter, un jour, la façon dont il s’est comporté avec une fille. Seulement, moi, comme je suis très démagogue et que je soigne mon public féminin, je le dis dans mes chansons.
«Y a une fille qu’habite chez moi». Etes-vous pour le mariage, ou le concubinage ?
Je ne suis pas marié et je vis dans le péché. J’ai souvent habité avec des filles pour essayer de reproduire le cocon familial, parfois de manière un peu hystérique, d’ailleurs.
«La Berceuse». La paternité vous a-t-elle changé ?
Pas autant que je le voudrais, parce que je suis toujours aussi immature et puéril qu’avant. On a toujours autant d’angoisses sur soi, on continue à se trouver moche, mais, pour la première fois, il y a sur terre quelqu’un de plus intéressant que soi. C’est quelque chose de très nouveau pour moi.
«Monsieur René». Avez-vous peur de vieillir ?
Non, c’est même quelque chose qui me plaît. J’aimerais vieillir comme Henri Salvador et être entouré de beaucoup d’enfants.
«La P’tite Monnaie». Etes-vous dépensier ?
Mes dépenses sont encore celles d’un petit bourgeois : des restaurants, un appartement dans le XXe arrondissement et un écran plasma.
«La Station Mir». Quel est le voyage de vos rêves ?
Comme j’ai peur de l’avion, les séjours à Bruxelles ou Dijon me vont très bien. J’aimerais aussi faire des croisières. Ecrire sur l’eau un livre impérissable fait partie de mes fantasmes. Ou chanter sur un paquebot. Prendre la succession de Pascal Sevran, pourquoi pas ?