Bénabar : “La pudeur, en fait, c’est de la trouille !”

,

Ponctuel comme à son habitude, Bénabar est de retour, comme tous les trois ans. Mis à part le peu subtil single “Paris by night”, ce disque renoue avec les meilleurs ingrédients de son art: la sincérité du propos et l’esprit “Music hall”. Des chansons qui touchent ou qui font marrer, sans autre prétention. Un disque vraiment plaisant, tendre et jamais avare en pirouettes sémantiques. Bruno nous a reçus pour évoquer ce septième chapitre, dans lequel il laisse parler ses envies, n’ayant plus rien à prouver…

Après sept albums, avez-vous toujours peur de la réaction du public à la sortie du disque ?

Bénabar : C’est terrifiant de penser que son disque pourrait décevoir les gens. Mais j’essaie de ne pas y penser, sinon tu deviens fou ! Quand tu fais les choses sincèrement, tu ne peux pas regretter, même si cela ne marche pas bien.  Par contre, si tu fais des concessions pour l’argent et que tu te plantes, là, c’est horrible! Je sais que c’est bateau, mais j’essaie d’être sincère sur chaque note de l’album.

Cela a-t-il été facile de vous remettre à l’écriture ?

Bénabar : En fait, oui. D’habitude, je n’écris pas pendant la tournée mais là, après avoir fait des grandes salles, la tournée intimiste m’a permis de commencer à écrire très vite. Enchaîner grandes et puis petites salles, c’est un luxe inouï et c’est tellement agréable, donc j’étais dans des conditions inspirantes !

Cet album est plus brut, moins arrangé. Volonté de départ ou constat à l’arrivée ?

Bénabar : J’ai constaté qu’il était moins arrangé à l’arrivée mais ce n’est pas étonnant puisque j’avais décidé de le faire sans réalisateur, je ne voulais pas de regard extérieur, l’enregistrer en liveavec les musiciens de tournée. C’est comme la photo de la pochette sans retouche. C’était un choix artistique. J’ai moins de pudeur, qui en fait est de la trouille, moins besoin de protection, je me permets plus de choses. M’amuser avec les mots sur “Gilles César” ou oser une chanson intime comme “La forêt”, qui parle de l’inconscient, des événements de l’enfance que nous portons encore à l’âge adulte. Je me lâche davantage, je n’ai plus rien à justifier.

“Coming in” parle d’homosexualité en en prenant le contrepied. Une façon de vous positionner sur une question de société qui reste houleuse en France ?

Bénabar : Je me méfie vraiment de la chanson engagée. Je suis terrifié par l’idée de donner des leçons. La chanson engagée, c’est comme le sucré-salé, ça peut être bon mais il faut que ce soit très très bien fait, sinon c’est vite écœurant. Qui sommes-nous pour dire aux gens ce qu’ils doivent penser ? Par contre, je crois que, tant que tu ne donnes pas de leçons et que tu es sincère, tu peux dire ce que tu veux. Dans “Coming in”, ce qui m’intéressait c’était la vanne, le sketch basé sur l’inversion de la situation réelle. Au début, je n’avais pas envie de parler de l’homosexualité mais après réflexion, j’ai bien aimé jouer avec ce champ lexical, inverser les clichés. Cela montre la puissance de leur absurdité !

“Remember Paris” nous plonge dans l’ambiance guillerette de l’entre-deux-guerres. Comment vous est venue cette envie ?

Bénabar : Grâce  à Maurice Chevalier, que je ne connaissais pas bien pourtant. Je croyais que mes influences naturelles étaient les Brel, Brassens, Souchon, Renaud, Delpech, etc. Et puis, je me suis rendu compte qu’il y avait des influences plus inconscientes. J’ai participé à un disque avec le pianiste Alexandre Tharaud. Il m’a fait reprendre un morceau de Maurice Chevalier que l’on a été jouer à Londres ensemble. C’était super. Je crois que cela m’a donné envie. J’ai longtemps négligé cette période joyeuse des années 30. J’aime le divertissement, les chansonniers. D’où mon goût pour les chansons légères, qui n’ont d’autre but que de faire sourire les gens dans les embouteillages. De nos jours, certains artistes mettent plus en avant leur personne que leur art. Il y a un certain culte de l’artiste, comme si c’était un statut. Or, les artistes ne sont souvent pas ceux qu’on croit. Un artiste authentique n’a pas forcement besoin de le montrer !

Vous êtes d’une infaillible régularité, un album tous les trois ans…

Bénabar : Je ne le calcule pas mais je le constate. La logique, c’est deux ans de tournée et un an de préparation du suivant. Dès que j’ai 15 chansons, j’ai envie de les enregistrer. Pourquoi attendre ? Mais, après celui-ci, j’ai envie de m’arrêter plus longtemps. La tournée sera courte, de février à mai. J’ai d’ailleurs hâte de découvrir votre nouveau Palais 12, dont on m’a dit le plus grand bien sur le plan acoustique. Et après, j’ai d’autres projets. Du théâtre, du cinéma notamment. Mais, si le public est toujours aussi fidèle, le virus de la tournée me reprendra peut-être. Il faut juste faire attention à ne pas trop s’imposer, à ne pas ennuyer les gens.

 

N’y a-t-il pas une lassitude de la scène après tant d’année de tournée ?

Bénabar : Il y a certains morceaux que je n’aime plus trop chanter. Parce qu’ils se sont éloignés de moi. Avoir sept albums permet de varier les plaisirs. Mais ce n’est pas dans une logique de refus de chanter les anciens titres, comme le font certains. Moi, je suis là pour chanter les chansons que le public aime. Donc, on travaille beaucoup les arrangements, pour ne pas s’ennuyer et se retrouver à son propre Karaoké. Les artistes qui refusent de jouer leur tube parce qu’il date ou qu’ils veulent être reconnus pour d’autres morceaux, je trouve ça surréaliste. Parce qu’on espère tous avoir un jour un tube ! Quand tu en as un ou deux, la moindre des choses c’est de les offrir au public !

 

Vous participez au disque “La bande à Renaud” qui rencontre le succès. Pourquoi faire partie d’un disque hommage à un chanteur encore vivant, et pas forcément au meilleur de sa forme ?

Bénabar : Je savais que Renaud avait donné son aval, que cela lui faisait plaisir, qu’Alain Lanty, son fidèle musicien, était derrière le projet… Le truc était clean. J’étais très heureux de chanter“La pêche à la ligne”, que je connaissais par cœur, mais je sais que cette version ne vaut évidemment pas l’originale ! En plus, au début, j’avais tendance à prendre des intonations, à la surjouer, ça n’allait pas, et, finalement, on a enregistré quelque chose de beaucoup plus sobre. Le truc chouette, au-delà du défi, c’est que cela permet de faire vivre les chansons. Faire découvrir Renaud ou Goldman aux plus jeunes, grâce à ces disques hommages, c’est vraiment bien. Mais il faut quand même dire que ce sont des disques anecdotiques. Si vous voulez découvrir Renaud, il vaut mieux acheter ses disques à lui !

Entretien : François Colinet

En concert le 23 avril 2015 au Palais 12, Bruxelles

Bénabar sera parmi les invités de la fête de la fédération Wallonie-Bruxelles ce vendredi 26 septembre sur la Grand Place de Bruxelles.

Retrouvez le également sur la plateau de la grande soirée de solidarité CAP48 le 12 octobre prochain.

http://www.rtbf.be/culture/article/detail_benabar-la-pudeur-en-fait-c-est-de-la-trouille?id=8362797