Bénabar: «Je commence enfin à assumer d’être un artiste»

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Par Philippe Manche. Photos Laetitia Bica. Maquillage Barbara Parmentier. Merci à l’hôtel Manos Premier, à Bruxelles, www.manospremier.com

Mine de rien, Bénabar, c’est un peu ce mélange improbable entre Renaud, Souchon et Brel. Quelqu’un qui s’est construit seul et en arpentant les bistrots avant un succès qui l’a emmené sur les plus grandes scènes de France et de Navarre. Certains lui flanqueraient des claques à incarner le chanteur bobo par excellence quand d’autres en voudraient comme grand frère, gendre ou amant. Au bout du compte, Bruno Nicolini n’en a cure. Et trace sa route. Sans se soucier du qu’en-dira-t-on.

Ce nouvel album, « Inspiré de faits réels », qui servira de colonne vertébrale à votre spectacle, est plus une mosaïque de sentiments et d’émotions qu’une réflexion sur le monde qui vous entoure. Pourquoi ?

C’était une réelle volonté de ma part de composer une espèce de recueil de petites nouvelles. C’était très clair. En tenant compte de choix hétéroclites de thèmes, d’arrangements comme « Les deux chiens », par exemple, avec le souhait de terminer par quelque chose de plus rigolo avec « Gilles César ». Il y a aussi un autre morceau, avec un petit synthé Juno, qui donne une touche électro à papa mais, en général, je voulais un disque d’histoires variées. J’ai changé ma façon de travailler les mélodies, j’ai écrit une musique sans avoir le texte, j’ai de nouvelles influences musicales… Je suis en tout cas plus exigeant sur les mélodies. J’ai beaucoup écouté Franz Schubert. Faire son entrée dans le classique prend du temps et de l’engagement. S’y intéresser est tellement vaste, il faut choisir des périodes. Du coup, j’ai fait l’impasse sur le jazz et sur le hip-hop. Ce sont des musiques que je connais trop peu.

En novembre 2008, vous étiez venu commenter l’actualité au sein de la rédaction du « Soir ». Vous savez plus que jamais dans quel monde vous vivez ?

Bien sûr ! Je sais que j’ai de la chance d’être privilégié : je ne l’oublie pas, je le garde en tête, parce que la vie est extrêmement dure pour plein de gens. C’est palpable. Je ne pense pas que je vais améliorer la vie de qui que ce soit avec cet album, mais je voulais éviter de plomber l’auditeur. J’ai toujours intégré la notion de divertissement, j’y ai toujours cru mais, dans mon esprit, c’était vraiment présent avec ce nouveau disque. Ce qui n’empêche pas qu’il comporte des chansons tristes et plus torturées, mais je tenais à cette notion de spectacle.

Votre dernier disque remonte à 2011. Tournées mises à part, qu’avez-vous fait ?

Il y a déjà deux ans de tournée. Et un an de réalisation pour l’écriture et l’enregistrement du disque. Je devais faire une pause à ce moment-là. Parce qu’en fait, après la tournée traditionnelle, on a encore fait une tournée supplémentaire avec une autre formule. On voulait lever le pied et se poser un peu, mais les chansons sont venues naturellement. Je reste quelqu’un d’actif, je suis tellement passionné par ce que je fais que je ne me vois pas rester à ne rien faire. Cela dit, au fond de moi, je sais que ça me ferait du bien. Ce sera pour la prochaine tournée.

Vous n’avez pas éprouvé le besoin de vous poser ne fût-ce que six mois et de partir en voyage sac à dos en famille ?

Je me méfie des plans de carrière du genre : après une tournée, un break de six mois pour se ressourcer. J’évite de me poser trop de questions. Jusqu’à assez tard, il n’était même pas question que je fasse un album aussi vite. C’est juste que j’ai rapidement eu une quinzaine de chansons et l’envie de les enregistrer pour passer à autre chose. Sinon, je traîne mes chansons pendant trois ans et je deviens fou parce que je ne suis jamais satisfait, je retourne en studio cinquante fois et à un moment, il faut y aller. Tout cela a précipité les choses, mais malgré moi.

Votre premier concert remonte à 1995 et votre premier disque à 1997. Quand vous regardez dans le rétroviseur, vous êtes surpris d’exercer le même métier encore aujourd’hui ?

Quand on m’a rappelé que ça faisait vingt ans, j’ai halluciné. Aujourd’hui, je me sens plus chanteur. C’est ma vie. C’est mon métier. Après avoir tourné autour, il fallait bien l’accepter un jour ou l’autre. À une époque, je préférais jouer les dilettantes en me disant que je n’étais pas vraiment un chanteur, alors que c’est évidemment le cas. C’est de la pudeur, sans doute, mais aussi de la protection et de la trouille.

Vos vingt années de carrière coïncident aussi avec une industrie du disque en pleine mutation, qui oblige les artistes à être plus créatifs. Quelles incidences sur votre travail ?

Bien que le marasme de l’industrie du disque soit à l’image de la crise globale, tout cela n’a pas vraiment eu de conséquences sur ce disque. J’ai commencé à chanter dans les bistrots, ensuite, j’ai été assez gâté parce que le public m’a suivi, donc j’ai eu de la chance. En revanche, pour les artistes débutants, je suis bien conscient que ça doit être plus compliqué.

Parce qu’il n’y a plus de vision à long terme ?

Parce que c’est plus difficile de développer un artiste. Si votre premier disque ne marche pas, ce n’est pas sûr que vous pourrez en enregistrer un second. Ceux qui cartonnent aujourd’hui écrasent un peu les classes moyennes de la musique. C’est ce qui se passe ailleurs, aussi.

Vous parrainez des « petits jeunes prometteurs » ?

Oui, bien sûr, j’ai toujours offert mes premières parties à des gens que j’aimais bien. Renan Luce, par exemple, ou Archimède. J’en ai bénéficié aussi.

C’est vrai que vous avez eu la chance d’ouvrir une tournée d’Henri Salvador. Ça reste un grand souvenir ?

J’ai fait toute sa tournée en 2001 et, sur le coup, ça m’a vraiment aidé. Il était adorable. Il cherchait une première partie et il s’est souvenu qu’il avait entendu ma chanson « Bon anniversaire » dans un taxi, à la radio. À un moment, j’ai même failli refuser parce que c’était une grosse tournée dans de grandes salles genre Zénith et j’ai eu la trouille. C’est vraiment un coup de pouce, je n’en ai pas eu beaucoup dans ma carrière mais, celui-là, c’était un cadeau du ciel. Cette année-là, un tout nouveau public le découvrait. Il y avait quelque chose de très cool et de bienveillant autour de lui. À chaque fois, je restais pour regarder ses spectacles. C’est vrai que, comme lui, j’aime bien raconter des histoires entre les chansons. Même si le mot est poussiéreux, j’adore le mot « chansonnier ». Et puis, Henri, c’était la quintessence de tout cela.

Vous revendiquez depuis toujours le côté artiste à l’ancienne et pas qu’à travers des chansons comme « Maritie et Gilbert Carpentier ». Qu’est-ce qu’on écoutait sur le tourne-disque familial ?

Un peu de Piaf, Renaud, Yves Duteil, beaucoup de Jacques Brel du côté paternel, et ma mère, beaucoup de classique. Mon grand frère, c’était du rock seventies. Il a même chanté dans un groupe.

Pour parler de ce nouveau disque, qui ne s’appelle pas « Inspiré de faits réels » pour rien, est-ce que les thèmes des chansons sont inspirés de votre propre vie ?

J’ai toujours fait gaffe aux titres de disques, mais je voulais un titre, malgré tout, qui donne une idée du contenu. Un peu comme le titre d’un recueil de nouvelles. C’était une façon d’affirmer ce que je fais. En essayant de faire un zoom arrière pour que ça fasse une histoire.

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Vous diriez que c’est votre disque le plus personnel ?

Je pense, oui. J’ai 45 ans. Je suis plus dans le premier degré que dans le second, ce dont j’avais peut-être tendance à abuser par le passé. Qui était aussi un moyen de ne pas y aller franco. Il n’y a plus de passages instrumentaux dans les morceaux. C’est sans doute plus immédiat et ramassé. Parce que je suis auteur, compositeur et interprète, je commence aussi à intégrer le côté, avec beaucoup de guillemets, « artiste ». C’est tellement galvaudé… mais j’en suis un. Presque malgré moi. Je sais que ça irrite comme ça fait plaisir, mais c’est quelque chose que je commence enfin à assumer.

Un mot sur la chanson « Titouan », qui n’est pas la chanson la plus rigolote ?

C’est vrai qu’elle est un peu triste, cette histoire de mec qui se fait plaquer. Derrière l’histoire, il y a le plaisir de l’auteur où chaque couplet triste est cassé par les interpellations. Ensuite, on comprend sans le dire qu’ils sont dans un parc. Il faut que ça reste amusant un texte, même quand il est triste, il faut que ça reste ludique.

J’ai eu plus de mal avec la chanson « Gilles César »…

Je ne le prends pas mal parce qu’elle n’a aucune autre prétention que d’être une blague. Je voulais terminer avec quelque chose de plus léger. Je sais que ça a l’air un peu bébête à dire mais, si quelqu’un souriait au volant, dans les embouteillages, en écoutant la chanson, je serais content. Le grand écart entre des chansons plus dans l’émotion et d’autres plus marrantes me touche.

Être un chanteur populaire a, comme toute médaille, son revers. Votre chanson « Politiquement correct », en 2011, a déclenché une petite polémique. Ça fait partie du jeu ?

Ce n’est jamais agréable de se faire allumer mais, oui, ça fait partie du jeu. Et c’est un jeu. Je pense que personne ne veut se faire de mal, mais ça reste un jeu du chat et de la souris, surtout avec une certaine presse. Entre les branchés et les populaires, c’est vieux comme l’accordéon. Il faut le prendre avec humour. Il n’y a aucune rancune de ma part, en tout cas. De la part des « Inrocks » non plus, je crois. L’avantage d’être installé sur la durée permet aussi de se débarrasser des étiquettes. Alors oui, au début, j’étais le chanteur un peu bobo mais, aujourd’hui, j’espère qu’on retient plus mes chansons que le reste.

Quid de la tournée qui passera par Bruxelles le 23 avril prochain ?

C’est encore un peu trop tôt à dire mais, comme j’aime le grand écart, j’aimerais bien présenter quelque chose entre Nougaro, avec des poursuites en noir et blanc, et Les Négresses Vertes, avec le groupe qui m’accompagne depuis vingt ans. Mélanger ces deux univers pour arriver à un vrai spectacle.

En duo avec Isabelle Nanty, pour l’enregistrement accoustique du DVD bonus de six titres “ Débranché ”
En duo avec Isabelle Nanty, pour l’enregistrement accoustique du DVD bonus de six titres “ Débranché ”

Cette tournée vous emmènera jusqu’en 2016. Et ensuite ?

On va monter une pièce que j’ai coécrite et qui sera mise en scène par Isabelle Nanty. C’est une comédie, j’espère que ce sera drôle…

En concert le 23/04, au Palais 12 à Brussels Expo, www.palais12.com

« Inspiré de faits réels », Bénabar, Sony BMG Music.

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