Bénabar et ses habitudes

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Vous sortez vos albums avec la régularité d’un métronome. N’avez-vous jamais songé à faire un plus long break ?

Parfois j’ai eu ce fantasme de la tentation de Venise mais je n’y suis jamais allé au bout. Je reste à l’écoute de ce qui vient. Et là, en l’occurrence, ce n’était pas prévu de sortir un disque aussi vite. Comme très rapidement on s’est aperçu qu’il y avait des chansons et que ça ressemblait à un album, on n’a pas attendu. Il y a aussi de l’angoisse dans cette démarche. Je suis très actif et je ne peux pas m’empêcher de travailler.

Une peur d’être oublié aussi ?

Je pense également. Ou de rompre un processus personnel de travail. Ce serait pas mal après cette tournée-là de faire un break.

Vous empruntez les mêmes chemins balisés. Aucun désir d’explorer d’autres territoires ?

Je n’ai pas trop de problèmes à évoquer le quotidien. C’est comme lorsqu’on parle d’amour : il y a de bonnes et de mauvaises chansons. Donc cela ne m’obsède pas, c’est quelque chose que j’assume. D’ailleurs en appelant cet album Inspiré de faits réels, c’est un peu manifeste. Par contre, j’essaye de ne pas me répéter, de trouver d’autres angles. Cet été – et il était temps – j’ai lu Madame Bovary et cela parle pas mal du quotidien. Je ne me compare pas avec Flaubert bien sûr mais c’est pour dire que le quotidien peut être vertigineux.

Est-ce en même temps une zone de confort pour vous ?

Maintenant que vous le dites, peut-être… Je me mets quand même en danger. Sur l’album d’avant, c’était plus rentre-dedans. Celui-ci est plus moelleux. La volonté première, c’était de faire purement un album de chansons c’est-à-dire avec très peu de passages instrumentaux et où l’histoire est “pitchée” dès le premier couplet. Idéalement, j’aimerais qu’on puisse le feuilleter comme un recueil de nouvelles.

L’album s’ouvre avec Paris by night, virée nocturne entre amis dans la capitale. Êtes-vous un homme de nuit et d’excès ?

Absolument. La modération est quelque chose qui ne m’attire pas et à laquelle je ne crois pas d’ailleurs. Il ne faut pas confondre avec la nuance. La limite de l’excès, c’est la responsabilité. Si tu passes quatre heures au restaurant, tu ne conduis pas des gosses à l’école en voiture dans la foulée. En ce moment, je suis un peu cigare, trop même d’après ma femme. Après le vin, la table, les soirées interminables entre copains, je ne résiste pas à cet appel.

Avec Titouan et Le regard, vous signez deux chansons graves particulièrement réussies. Pourquoi n’allez-vous pas davantage dans cette direction ?

Je me méfie beaucoup de la gravité. J’aime bien le côté divertissement et variété des chansons, pouvoir passer d’une chanson déconnante comme Gilles César à quelque chose de plus profond comme Titouan.

Remember Paris, une manière à la fois de vous moquer de votre accent anglais et d’effectuer un petit clin d’œil à Maurice Chevalier ?

J’avais fait avec le pianiste Alexandre Tharaud une reprise de Maurice Chevalier à Londres. Et cela m’avait pas mal travaillé par la suite. Ce titre, c’est un peu un hommage à cette chanson française des années 30 et 40 qui parle de Paris. L’image carte postale qui lui colle à la peau n’a pas changé. Je ne voulais pas que ce soit une parodie mais une chanson simple et mignonne sur un petit flirt. Quant à mon anglais, c’est dramatique : j’ai passé un an aux États-Unis pour avoir un accent aussi pourri que celui-là (rires).

Dans Coming in, il est question d’un gay qui devient hétéro. Vous en connaissez beaucoup ?

Non mais ça doit exister (rires). Pour le coup, c’est plus pour la vanne avec la pirouette finale. C’est un sketch en fait. Il y a eu tout ce débat autour du mariage gay et j’ai eu envie de retourner les clichés sur les homos comme “que vont passer tes copains de ta différence ?”. Après je n’ai pas la prétention de servir la cause gay. J’ai toujours trouvé ridicule les artistes qui se prennent pour les Louise Michel de telle ou telle cause. Et puis la frontière entre porte-drapeau et donneur de leçons est particulièrement ténue.

Une tournée piano-voix est-elle un jour envisageable ?

Il m’arrive d’y penser. Ma dernière tournée, c’était le Big Bazar. On était onze sur scène avec des choristes, un décor, des costumes. Maintenant j’ai envie de faire un tour de chant moderne à la Nougaro.

Sur l’argumentaire de l’album, vous dites : “Être allumé dans les Inrocks, c’est un encouragement”. Pourquoi continuez-vous à alimenter cette guerre ?

Vous avez raison, il faut arrêter avec ça. Ce sont des réactions épidermiques. J’ai réagi avec cœur après une agression mais je ne fais pas de croisade. Cela fait partie du jeu.

N’est-ce pas la conséquence propre aux chanteurs populaires ?

Il y a toujours eu une lutte entre les branchés et le grand public. C’est vrai aussi dans la littérature ou dans le cinéma. C’est quelque chose de presque automatique. Il faut savoir accepter les critiques quand elles sont constructives. C’est une discipline que je m’impose désormais.

Vous allez fêter en 2015 vos vingt ans de carrière. A vos débuts, auriez-vous imaginé vous inscrire dans la durée ?

Je ne m’y attendais pas du tout et ça m’émeut vraiment. Au grand dam de certains, je suis devenu chanteur (rires). J’ai toujours le même engouement, j’ai toujours le trac, je suis toujours surpris de voir Michel Drucker en vrai. Ce ne sont pas des phrases en l’air mais je ne suis blasé de rien. C’est pour ça qu’il faut se tenir à l’écart des choses qui polluent. Parce que la chanson telle que je la pratique doit rester ludique.

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